D'UNE ÉTIQUETTE L'AUTRE : J'ai plusieurs fois évoqué ici même dans la rubrique l'œil critique les évolutions que subissaient certaines étiquettes en passant d'une imprimerie à une autre. En voici un exemple édifiant, car, et ce n'est pas commun, pour une fois l'évolution a permis une notable amélioration. Cette étiquette "Au pêcheur tourangeau" créé par l'imprimerie Grange et Guy sera reprise par l'imprimerie Garnaud à Angoulême. Le thème a été conservé dans son intégralité ; le cartouche de tête a été maintenu à l'identique. Chez Garnaud, on y a adjoint dans la partie basse un autre cartouche précisant : Camembert fabriqué en Touraine. Précision levant toute ambiguïté sur l'origine du produit, présence du logo du syndicat, désormais indispensable. Tous les éléments du décor restent inchangés : le pont dans le lointain, la fromagerie, le panneau indicatif planté dans la rivière, la barque elle-même avec le matériel du pêcheur, tout est là, en plus précis et en plus présent. L'évolution la plus marquante vient du pêcheur lui-même, alors que chez Grange et Guy celui-ci reste nonchalant et bredouille, celui de Garnaud s'empare d'une belle prise donnant ainsi un caractère résolument positif à l'étiquette, qualité qui rejaillit sur le contenu de la boîte. Ça na l'air de rien et pourtant cela change tout. (Michel Coudeyre, 30 septembre 2023).
MARDI 26 SEPTEMBRE 2023 : QUELQUES EXTRAITS DE LA SAGA LEPETIT, UNE EXPOSITION QUE VOUS POUVEZ VOIR EN CE MOMENT ET JUSQU'AU 05 OCTOBRE, AU CLOÎTRE DE L'ABBAYE À SAINT-PIERRE-SUR-DIVES (CALVADOS, 14)
EXPOSITION FROMAGERIES LEPETIT, CLOÎTRE DE L'ABBAYE, À SAINT-PIERRE-EN-AUGE.
par Gérard Clouet & Michel Lebec.
Le patronyme Lepetit est très répandu en Normandie, mais quand il est attaché au camembert il évoque immanquablement une lignée de fabricants de fromage du pays d’Auge dont la réussite et la prospérité ont marqué en profondeur la Normandie et les acteurs économiques de la filière laitière. Pendant quasiment un siècle la « maison » Lepetit a été une référence en matière d’exigence pour la qualité de ses produits qui ont atteint une niveau d’excellence longtemps envié.
LES FONDATEURS : Quand il épouse Léontine Brée ( 1851-1929) à Bons Tassilly (14) en 1873, Auguste Lepetit (1844-1909) pratique le métier de coquassier (on dit aussi coquetier). Le jeune couple emménage à Croisilles à quelques kilomètres au sud des Moutiers au Cinglais (14) d'où Auguste est originaire. C'est là que naissent leurs deux premiers enfants Henri en 1874, puis Clémence en 1876. Après un bref passage au Bourg L'abbé à Caen où ils exercent le métier de marchands d’œuf et donnent naissance à Joseph en 1877, Auguste et Léontine s'installent entre 1878 et 1880 route de Thiéville à Saint Pierre Sur Dives. C'est là qu'ils développent leur affaire grâce aux fonds prêtés par le curé de Bons Tassilly et par un cousin de Léontine, Eugène Roussel, marchand de beurre à Isigny admiratif de ses aptitudes pour le commerce, et qui lui prodigue des conseils pour créer et développer un commerce de beurre.

LA MAISON MÈRE Les affaires prospérant rapidement, ils achètent l'ancien presbytère de Donville,situé à proximité de la gare, boulevard Colas à Saint Pierre Sur Dives, et établissent leurs activités dans les communs. C'est là que leur quatrième enfant, Françoise, naît en 1883. À leur commerce d' œufs, entreposés dans des grands bacs en béton remplis de saumure, ils ajoutent et développent un commerce de beurre fermier. Achetés aux agriculteurs sur les marchés alentours, les beurres sont ensuite mélangés dans un malaxeur afin d'obtenir un produit homogène prêt à être commercialisé et qui connaît rapidement du succès (*1). En 1888, 8 personnes sont employées pour saler le beurre. Sur les papiers à entête des années 1890 de l’entreprise Lepetit, il est indiqué que le beurre frais et salé est exporté vers l’Angleterre, le Brésil et les Indes...etc. La proximité de la gare est un atout majeur de leur développement.
À cette activité principale s’ajoute un commerce de volailles, notamment de dindes pendant la période de Noël. Poulets, dindes et autres volailles sont achetées vivantes, abattues sous un hangar de la beurrerie, vidées et empaquetées par milliers. Chaque semaine une grande part des marchandises est expédiée en Grande Bretagne via le port de Caen pour être commercialisée notamment par la maison Lindeman and Builder.
L’ESSOR DE LA MAISON LEPETIT Bien qu'il ait eu à plusieurs reprises de nombreux prix régionaux et nationaux pour la qualité de ses productions,au cours des années 1890, et que l’affaire soit très prospère, la concurrence désavantageuse avec le beurre danois non soumis à la même réglementation en matière d'usage du borate de soude en tant que conservateur (*2) va conduire Auguste et Léontine Lepetit à se tourner préférentiellement vers la fabrication du camembert en plein essor à cette époque. C'est le début d'une aventure économique qui va aller en crescendo.

Saint-Maclou. Le couple acquiert à Saint Maclou sur la commune de Sainte Marie Aux Anglais (14) un ensemble foncier , « La Jaunière » appartenant à Achille Duval. Selon les différents ouvrages parus à ce jour, la date de cette acquisition fluctue. Une chose est certaine, la date de 1855 avancée dans l’ouvrage de François Mackiewicz (*3) ne peut résulter que d’une coquille d’imprimerie puisque Auguste et Léontine Brée sont nés respectivement en 1844 et 1851. Sur ce point, l’Annuaire Normand de 1892 apporte une précision déterminante: « il achetait en 1884 la propriété et le château de Saint-Maclou pour la somme de 110,000 fr. Cette terre, d'une contenance de 90 hectares, était en non-valeur. Louée 2,800 fr.. les impôts s'élevaient à pareille somme. Cette propriété n'était pas bonne, le sous-sol est argileux. M. Lepetit n'a pas hésité à réparer tous les dégâts occasionnés par un trop long abandon : il y a importé de suite pour 36,000 fr. de fumiers achetés à Caen, qui, avec leurs frais de transport et de répartition, lui sont revenus à 72,000 fr. Il a fait enclore de fossés et de haies toutes les pièces qui n'en avaient plus. I1 a fait de grandes levées de terre ameublée avec de la chaux; il a fait drainer 5 hectares et a converti en herbe tout le labour. On peut dire aujourd'hui que la propriété est complètement métamorphosée; elle nourrit 40 vaches à lait, 30 veaux de 1 à 2 ans, 22 chevaux et 350 porcs. ».(*4)


La matrice cadastrale de Sainte Marie aux Anglais acte bien en 1886 ce changement de propriétaire. A ce jour aucune source connue n’atteste avec certitude la présence d’une ferme fromagère pré-existante incluse dans le domaine acquis qui aurait permis à la famille Lepetit de se lancer aussitôt dans la fabrication de fromage. Les analyses du plan cadastral et des matrices lors des mutations de 1838 et 1886 sur l’ensemble foncier de La grande Jaunière font apparaître un ensemble de bâtiments de ferme comprenant : chartrie, pressoir, boulangerie, maison, étable et écurie sans aucunement mentionner l’existence d’un hâloir. Et pourtant en analysant les bâtiments subsistants à ce jour, dans l’ensemble de ceux qui constituaient au même endroit la ferme de Saint Maclou construite par Auguste Lepetit, il existe bel et bien un petit bâtiment présentant toutes les caractéristiques d’un hâloir. Manifestement plus ancien que les grands hâloirs industriels construits plus à l’est. Ce hâloir ancien pourrait éventuellement résulter de la transformation de l’ancienne boulangerie . Pour autant il est difficile de définir si cette transformation est antérieure à l’acquisition de 1884 ou immédiatement postérieure. En 1890, la matrice cadastrale mentionne bien l’existence d’un « château » et d’un bâtiment doté d'une machine à vapeur. Il s’agit en l’occurrence d’une vaste maison d'habitation édifiée par Auguste et Léontine dans le style particulier de cette fin de siècle et très probablement des premières installations pour la fabrication de fromages. D’après les sources familiales reprises dans différents ouvrages le démarrage de cette activité aurait bénéficié des conseils avisés de Léon Serey fromager à Bretteville sur Dives,donc voisin et ami des Lepetit (*5). La tradition familiale rapporte également que certaines pièces du château non encore totalement aménagé sont utilisées comme hâloir, d'autres au sous-sol pour l’écrémage du lait, et qu'un conduit souterrain assure des liaisons techniques avec le bâtiment dédié à la fabrication, en particulier pour le chauffage.
Mackiewicz indique : « il se fabriquait là environ 500 camemberts par jour avec le lait de la ferme et de quelques voisins.[...] il aménagea un hâloir, cave et fromagerie .[...]l’installation d’une écrémeuse actionnée par une machine à vapeur fut réalisée en 1887.Il augmenta les achats de lait pour arriver à 2000 fromages par jour. C’était beaucoup à l’époque . Il poursuit en précisant : « Le ménage Lepetit décide de créer une fromagerie moderne, une ferme modèle. Les études sont entreprises, un architecte est chargé de la réalisation et les travaux démarrent. En 1891, on inaugurait les nouvelles fromageries de saint Maclou […] cette fabrique disposait de matériel et d’installation dernier cri.Une chaufferie avec une haute cheminée de briques roses alimentait une machine à vapeur et un puissant alternateur pour l’éclairage et la force motrice nécessaire à la marche de la fabrique. Les ateliers de fabrication,le hâloir et les annexes étaient chauffés à la vapeur.L’eau froide et chaude était distribuée sous pression.Les pompes à lait, à sérum, barattes et écrémeuses étaient actionnés à l’électricité.On avait vu grand et solide ».(*6)
L’annuaire Normand de 1892 , déjà évoqué, poursuit et précise sa description du domaine : « Là ne se sont pas arrêtés les frais de M. Lepetit; il a fait construire et aménager tous les anciens bâtiments, même le château, pour l'installation d'une belle fabrique de beurre et de fromages. L'eau manquait, un puits a été foré à une profondeur de 118 mètres. Une pompe, mue par une machine à vapeur de la force de 18 chevaux, distribue en deux heures la quantité d'eau suffisante pour la journée. La machine fait fonctionner deux écrémeuses centrifuges, un malaxeur et un concasseur. Chaque jour il entre dans l'usine 11,000 litres de lait, sept voitures en font le transport matin et soir. Tous les jours, il est fait 400 kil. de beurre, 1,000 fromages de Pont-1'Évêque, 500 de Livarot, 3000 de Camembert ; on commence aussi à fabriquer le Neufchâtel. Quarante personnes, hommes et femmes, sont nourries et couchées dans l'établissement. M. Lepetit a installé un téléphone qui met en communication son usine de Saint-Maclou avec son établissement de Saint-Pierre. La direction de celte importante fabrique est confiée à M. et Mme Bonnetot, au service de M. Lepetit depuis huit ans; ils remplissent avec zèle et intelligence la mission qui leur est confiée, la femme dirige l'intérieur, le mari s'occupe du dehors. La Commission demande une récompense pour ce ménage. La Commission a accordé à l'unanimité la coupe d'honneur à M. Auguste Lepetit. ».(7*)
La fabrication de fromage à Saint-Maclou, sous la responsabilité de Eugène Bonnetot, est effectivement attestée à l’occasion du recensement de 1891. Et dès 1890 et 1891, la presse relate que les fromages produits sont distingués lors du concours général Paris et de ceux organisés à Angoulême en 1893,et Caen en 1894. Cette même année une machine à vapeur de 5 chevaux est revendue pour « cause d’agrandissement »(*8).
L’analyse des bâtiments conservés à ce jour laisse à penser qu’ils ont été construits en plusieurs tranches.Il serait plausible que le grand hâloir orienté nord-sud ait été construit en premier et que le second qui le borde sur son pignon nord et qui bénéficie d’innovations techniques en matière de circulation de l’air puisse être postérieur. A l’évidence, pendant la période allant de 1890 à 1909, il est procédé à des aménagements complémentaires permettant d’améliorer la production. L’installation d’une machine à vapeur ( système Watt à balancier) et d’une dynamo de Gramme est attestée vers 1898 et la fromagerie est agrandie de 1906 à 1908, avec la construction du réfectoire et des logements d'ouvriers.(*9) Sous la direction du fils aîné Henri à partir de 1902 la production quotidienne dépasse les 3000 camemberts.
LE POIRÉ-SUR-VELLUIRE Toujours soucieux d’agrandir son affaire, Auguste Lepetit loue en 1888, puis achète en 1892, à Le Poiré sur Vélluire (85) la laiterie du château du Châstelier-Bardot et poursuit les activités de fromagerie, beurrerie. La gérance est assurée par Eugène Bonnetot et son épouse Florentine une nièce de Léontine qui ont fait leurs premières armes à Saint Maclou. En 1896, ils laissent la place à Louis Nallet et reviennent à Saint Maclou. Eugène devient régisseur des fermes Lepetit et Florentine responsable de la fabrication des fromages. Devenue veuve en 1917, elle s'installe à Bû sur Rouvres (14) et aidée de sa fille Marcelle née en 1893 en Vendée, elle fabrique des camemberts. Après son mariage avec Louis Heurtin, Marcelle poursuit la fabrication. La fromagerie de Poiré sur Velluire, spécialisée dans la production du Brie et du Hollande, jugée trop éloignée du reste des autres établissements Lepetit est revendue en 1922 à Clément Dubois et prend en 1925 le nom de « Union Porchaire » (*10).
Date de dernière mise à jour : 30/09/2023