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VAN LOYEN MAURICE, LA CROIX SUR ITON (61) par Gérard Clouet.
En juin 1899, au lieu dit « La Foucardière » à Saint-Ouen-sur-Iton (61), Maurice Vavasseur (1868-1921) déclare au préfet de l’Orne : « l’installation d’une chaudière à vapeur cylindrique horizontale à foyer amovible, système Thomas Laurens » (*1). Cette machine, fabriquée à Rousies à proximité de Maubeuge (59), est destinée à faire fonctionner une laiterie. Maurice Vavasseur est fils d’un marchand de beurre de Paris, et marchand de beurre lui même. Lors du recensement de 1901, il apparaît que Maurice et son frère Paul Vavasseur, domiciliés à Paris, sont propriétaires de la ferme de La Fourcardière, et emploient un chef de culture, 4 salariés agricoles ainsi qu’un contremaître laitier, Auguste Duclos, 3 laitiers et un chauffeur ( probablement en charge du fonctionnement de la machine à vapeur). Il semble que cette ferme soit ensuite vendue à Maurice Van Loyen puisqu’un contrat, à l’entête de la Laiterie de La Croix Rouge Van Loyen, daté de septembre 1905 fait état d’un accord commercial passé entre ce dernier et un dénommé Vasseur négociant rue Blanqui à Saint-Denis (93) aux termes duquel il s’engage à fournir 100kgs de beurre par semaine à raison de deux envois effectués le lundi et le vendredi. Ce contrat stipule que le beurre en question sera issu de la seule production de la ferme de La Foucardière au prix de 2f 95 le kg, prix garanti jusqu’en avril 1910 (*2) .
Né en 1877 d’un père originaire du Limbourg au Pays-Bas qui exerce le métier de sellier rue de la Michodière à Paris 2ième, Maurice Van Loyen contracte en 1897 un engagement pour 3 ans dans l’armée ce qui lui permet de choisir son affectation au sein du 22ième régiment d’artillerie caserné à Versailles (78). Pratiquant le même métier que son père, il y occupe jusqu’à sa libération en 1900 les fonctions de bourrelier.
Le recensement de 1906 atteste la présence à Saint-Ouen-sur-Iton de Maurice Van Loyen en tant que laitier à La Foucardière où il est aidé par 4 autres laitiers, 1 beurrier, 1 palefrenier et une domestique. En juillet de cette même année il s’adresse à Jean-Marie Lavalou qui dirige la fromagerie du Bourg-Saint-Léonard (61) pour commander « trois douzaines de camemberts pas trop avancés ». L’entête de ce mémorandum précise qu’il dispose d’un dépôt rue Saint-Jean à L’aigle (probablement au numéro 20). On apprend au travers de cette correspondance qu’il a eu auparavant l’occasion de solliciter l’appui de Lavalou pour trouver une voie de conciliation dans une affaire, sans que cet échange apporte plus de précision à ce sujet (*3).
Après son mariage en 1909 à Enghien (95), il s’installe avec sa jeune épouse, Suzanne Prioult (1887-1980), à Saint-Ouen-sur-Iton où leur premier enfant André naît en 1910. En 1911, il indique exercer le métier de fabricant de fromage et emploie 4 fromagers dont Armand Machetel de Saint-Julien-de-Mailloc (14) et 1 maréchal-ferrant. Un contrat de fourniture de lait passé cette même année avec Alphonse Drouère, cultivateur au lieu-dit « Rudelande » à La Poterie-au-Perche (61), indique clairement qu’il a mis en place un système de collecte pour s’approvisionner tout autour de Saint-Ouen (*4). D’autres fournisseurs sont en effet localisés à Charencey et Beaulieu.
Ainsi que la presse locale s’en fait l’écho, comme beaucoup de ses confrères, il est confronté au mouillage du lait qui lui est livré (*5). Selon le recensement de 1911, le dépôt de L’Aigle s’avère être tenu par Jean Gallic, employé de laiterie et sa femme Marie, commerçante. Rien n’indique leur statut et il est impossible de savoir s’ils sont gérants ou seulement des employés de Maurice Van Loyen. Peu après la naissance de leur fille Germaine en 1911, le couple Gallic quitte L’Aigle et part s’installer à La Neuville-sur-Ressons (60) pour créer une petite laiterie. C’est là que naît en 1912 leur seconde fille Suzanne. Jean Gallic mobilisé en août 1914, rejoint le 71ème RI de Saint-Brieuc (22). Blessé au début de 1916, il est réformé.
La région de l’Oise où il s’était installé a beaucoup souffert de la bataille du Matz au début de juin 1918 qui a engendré de nombreuses destructions, si bien qu’en 1921 on retrouve le couple dans le Loiret à Courtemaux où Jean Gallic occupe un emploi d’ouvrier de laiterie dans la fromagerie de Jean Le Lay, un compatriote breton du Finistère. En 1927 à la naissance de leur troisième fille Jane, ils sont installés dans l’Eure sur la commune des Botteraux où ils créent une laiterie fromagerie au lieu-dit « la Cocantinière ». Leur seconde fille, Suzanne (1912-1999), apprend le métier avec eux et se perfectionne en école d’agriculture. Après son mariage en 1937, elle crée sa propre fromagerie dans la ferme de « La Cornablière » qu’elle exploite avec son mari Maurice Dequidt. Reprise en 1977 par leurs enfants, Roger et Gérard, l’activité va évoluer à partir de 1980 vers le commerce de gros et demi-gros. En 1995 le fonds de commerce est vendu à la coopérative d’Isigny (*6).
En 1913 à Saint-Ouen-sur-Iton René vient agrandir la famille Van Loyen. Le déclenchement de la première guerre mondiale vaut à Maurice Van loyen , bien qu’il ait déjà deux
enfants, d’être rappelé en août 1914 et versé successivement dans différents régiments d’artillerie où il occupe les fonctions de conducteur. D’après les informations qui figurent sur la fiche matricule de son plus jeune frère Jacques, né en 1895 et exerçant la profession de clerc d’avoué, il est mentionné qu’ au moment de sa mobilisation en 1916, ce dernier réside à Saint-Ouen-sur-Iton. Il est possible que Maurice ait pu faire appel à lui pour diriger les affaires de la ferme dès qu’il a été mobilisé au début de la guerre. Incorporé dans l’infanterie, Jacques est tué en juillet 1918 au bois de Courton lors de la seconde bataille de la Marne. Si on en croit l’annonce parue en 1917 dans le journal « Le Public » pendant la guerre, la ferme de La Foucardière continue à produire du camembert. Une fille Simone naît en 1918 et Maurice Van Loyen démobilisé en 1919 regagne Saint-Ouen-sur-Iton. La production se poursuit avec l’aide de 5 laitiers dont un suisse et un italien en 1921.
Au sortir de la guerre, un carton publicitaire au nom de Van Loyen annonce que, pour cause d’agrandissement, le magasin de vente de demi-gros et détail de la rue Saint-Jean est transféré au 9 de la rue de Bécanne ( orthographiée maintenant Bec Ham). Les produits qui y sont en vente sont mentionnés : « lait chaud matin et soir, beurre, crème fraîche œufs, volailles etc. Fromages 1er choix de toutes marques, spécialité de camembert ».
En 1921, sans qu’on connaisse leur statut précis, Alphonse Guet (1881-1956) et son épouse Juliette sont installés comme crémiers dans cette boutique. Ancien combattant, originaire de la Mayenne, Alphonse, boucher de métier, a, un temps, été marchand de fromages au début
du siècle à Sillé-le-Guillaume (72). Les illustrations des étiquettes des camemberts vendus par Maurice Van Loyen s’appuient sur la dénomination de la ferme de la Croix Rouge, d’autres jouent habilement avec une illustration mettant en valeur un aigle pour rappeler la ville où il possède un dépôt. Une seule de ces étiquettes porte la mention « Ferme de La Foucardière ».
Alors que tout semble aller pour le mieux, le recensement de 1926 laisse penser que la laiterie de La Croix Rouge à Saint-Ouen-sur-Iton a été vendue à la société Jonot & Cie, une laiterie en gros située dans le quartier de Picpus à Paris 12ième. Elle est gérée par Esternberger un suisse qui dispose d’un dizaine d’ouvriers laitiers. En 1927 la gérance est assurée par Georges Genty originaire de la Coulonche (61) avec le même effectif d’employés en 1931. Ce dernier quitte la laiterie de la Croix Rouge en 1933 et il est remplacé par Elysée Lambert né à Croisilles (61) qui en 1936 ne peut plus compter que sur l’aide de deux employés de laiterie. Cette activité qui donne des signes de déclin ne semble pas survivre à la seconde guerre mondiale et n’est plus recensée en 1946. La crèmerie de la Croix Rouge de la rue de Bécanne à L’Aigle poursuit ses activités. Entre 1926 et 1931, elle est gérée par Pierre et Victoria Fricheux tous les deux crémiers. De 1936 à 1946 le relais est pris par madame Camille Lacour et ce n’est qu’à l’occasion du recensement de 1946 que son statut de gérante est précisé. Les annuaires professionnels du lait continuent à mentionner la fromagerie Van Loyen de La Croix Rouge à L’Aigle jusque dans les années 60.
À la Foucardière, Maurice Van Loyen semble avoir abandonné toute activité de fabrication de beurre et de fromage au point de se déclarer agriculteur en 1926. Il devient vice-président de l’Union des Producteurs Agricoles de la région de L’Aigle en 1927 (*7). Il démissionne de cette fonction en 1936, et son fils René, qui a certainement dû prendre en main les rênes de la ferme, est élu trésorier (*8). La famille Van Loyen vend cette année là, à la municipalité de L’Aigle, un immeuble qu’elle possède « à l'intersection des rues de Bécanne et de la Garenne » (*9). Maurice Van Loyen décède en mai 1946 à Saint-Ouen-sur-Iton.
Recherches et rédaction Gérard CLOUET Janvier 2025 [Première publication Camembert-Museum le 10 janvier 2025).
Biblographie : *1 et 2 Archives familiales Van Loyen *3 Archives Lavalou AD61 247 J *4 Archives familiales Van Loyen *5 La Dépêche d’Eure et Loir 1913-04-18 et L’Ouest-Eclair 1913-07-01 *6 unarbreenflandres.tumblr.com *7 L’Ouest-Eclair 1927-11-27 *8 L’Ouest-Eclair 1936-01-07 *9 L’Ouest-Eclair 1936-04-11
Date de dernière mise à jour : 10/01/2025