Baudoin Frères, Pavillon 12, Halles de Paris

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BAUDOIN FRÈRES MANDATAIRES, PAVILLON 12, HALLES DE PARIS.

L’histoire de cette saga familiale commence vers 1880, quand Eugène Baudoin débute sa carrière comme transporteur livreur de marchandises pour le compte des Fermiers de la région de Nanteuil-lès-Meaux. Son travail consiste à ramasser les gros fromages de brie sur le marché de Meaux, en Seine-et-Marne chaque samedi, et de les transporter vers des caves qui étaient situées à Pantin. Une caravane grinçante de voitures à deux roues, tirées par trois chevaux (un dans les brancards et deux devant), descend vers Paris. Les bries sont entassés dans des mannes en osier et recouverts de bâches. Les carrioles sont surchargées. Des caissettes sont même accrochées sous les charrettes avec des chaînes entre les roues. Le mardi matin Baudoin prend à Pantin un nouveau chargement de bries affinés pendant une huitaine ou une quinzaine de jours afin de les livrer aux Halles, où ils sont vendus à la criée dans les factoreries. (1)

Un accident survient. Eugène Baudoin se casse une jambe en déchargeant des caisses de fromage. Handicapé, il est dans l’incapacité d’exercer son métier de livreur. Il a cependant la chance d’être remarqué par un facteur des Halles M. Gauthier, le patron d’une importante factorerie fondée en 1855. Il est embauché comme assistant, et va se révéler comme un excellent homme d’affaires, si bien que Monsieur Gauthier qui n’a pas d’enfants, décide de l’associer à son affaire en formant une nouvelle société en 1893, qui prendra le nom de GAUTHIER. L & BAUDOIN. Le capital de la société est de 400,000 francs. Son siège social est situé 41, rue de la Grande Truanderie, tout près des Halles de Paris. Quelques années plus tard la dénomination sociale change et devient BAUDOIN & CIE. Nous ignorons comment ce changement s’effectue, ainsi que les modalités. S’agissait-il de ventes de parts suite au décès de M. Gauthier ? A cette époque Eugène reçoit toutes sortes de fromages de toutes les régions de France. Il brasse des millions, et écrase ses concurrents. En 1896, un important changement intervient. une loi va supprimer les factoreries et donner à leurs propriétaires le statut de mandataire

Le 26 mars 1905, c’était un dimanche, Eugène Baudoin, mandataire aux halles centrales de Paris, met en vente par adjudication des biens lui appartenant comprenant maisons, granges et jardins sis à Nanteuil-lès-Meaux, lieu-dits Truel et le Montier, ainsi que quatre hectares de terre, près, vignes et bois situés territoires de Nanteuil , Mareuil, Fublaines et Meaux. C’est maître Puis, notaire à Meaux qui est chargé de la vente. Le 13 mai 1905, Eugène Baudoin décide aussi d’associer son deuxième fils Paul à l’affaire et lui cède 1/20 sur les 18/20 des droits lui appartenant dans la société E. BAUDOIN & FILS, mandataires aux halles pour la vente de fromages en gros, 14 rue Étienne Marcel qui change de raison sociale pour devenir : E. BAUDOIN & SES FILS.

Le 27 novembre 1924, Eugène Baudoin, mandataire aux Halles de Paris décède à Vaires (S&M). Les obsèques ont lieu à Paris, le vendredi 28 novembre au Temple de l’Oratoire, 145 rue Saint-Honoré à Paris, plus connue aujourd’hui sous le nom de Temple Protestant de l’Oratoire du Louvre.

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Les Halles Centrales, Pavillon XII, la vente à la criée des fromages. C'est ici que les Baudoin Père & fils proposaient leurs fromages aux plus offrants.

La relève est assurée : Louis et Paul Baudoin reprennent l’affaire en main. La nouvelle raison sociale devient BAUDOIN FRÈRES. Ils deviennent les principaux actionnaires de la société fondée par leur père, qu’ils feront fructifier puisqu’ils sont eux aussi doués pour les affaires. Nous savons peu de choses sur Louis Baudoin. Quant à Paul Baudoin, il est né le 11 mai 1884 à Pantin. Sa famille habite alors 26, rue du Chemin de Fer à Villemomble. Engagé volontaire dès 1902, le jeune Paul veut servir sa patrie. Il fera partie de la réserve de l’armée, fera de nombreux stages, et sera mobilisé pendant la Grande Guerre. Les résidences qui lui sont connues à l’examen de son livret militaire sont Vaires en S&M, Paris 8ème (33, rue de Moscou), Le château de Vaires (77), Paris 17ème arrondissement (128 boulevard de Courcelles).

En 1920, le marché des fromages à pâtes molles comme le camembert, le brie, le coulommiers est menacé d’une nouvelle taxe voulue par le conseil municipal de Paris. M. Baudoin, président des mandataires en fromages s’y oppose, car il pense que cette taxe rajoutée à d’autres rendra ces fromages inabordables pour les consommateurs parisiens. Pour 1925-1926, le bureau du Syndicat des Mandataires à la vente en gros de fromages (Halles Centrales de Paris, Pavillon 12) situé 163 rue Saint-Honoré à Paris est composé de M. Paul Baudoin (Président), Vice-Président M.Wertheimer, secrétaire M. Danfray, et trésorier M. Tournus. En 1921, Paul Baudoin est fait Chevalier du Mérite Agricole.

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Une publicité parue dans la presse en 1930, vient confirmer la raison sociale BAUDOIN FRÈRES, mandataires pour la vente en gros de fromages, Pavillon 12. Bureau et Caisses: 15, rue de Turbigo, Paris. La réussite et l’essor de la Maison Baudoin ne plaît pas à tout le monde. Ainsi, dans un article paru le 12 février 1938, dans le journal communiste l’Humanité, on apprend que M. Baudoin ferait un chiffre d’affaire annuel de 80 millions de francs, et que rien qu’en prélevant les 5 pour cent de commission qui lui sont dus, il lui resterait un bénéfice de 4 millions de francs, et le journal d’insinuer « de quoi acheter s’il le voulait, un joli petit paquet d’actions de la S.A.F.R., n’est-ce pas M. Baudoin ? » Dans ce même article, M. Baudoin est accusé d’être proche des Trusts que sont la Société Laitière Maggi, Charles Gervais, les Fermiers Réunis, et d’être multimillionnaire. Rappelons qu’à cette époque la lutte des classes était la raison d’être de ce parti.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale les affaires tournent mais au ralenti. Le déclin a déjà commencé. La mise au point de la pasteurisation par l’Institut Pasteur avec la collaboration de Paul Baudoin est une réalité. La filière laitière s’industrialise, des marques émergent, les usines sont en capacité surtout après la fin de la guerre, d’approvisionner directement tous les points de vente. Les intermédiaires et mandataires des halles sont hors-jeu dans cette affaire. L’époque où des fabricants comme Cyril Desoutter (Maison du Val) ou Albert Robat (Auzéville-en-Argonne), pour ne prendre que ces deux exemples de la Meuse, ou bien celle de la laiterie de Beaucé dans l’Eure, étaient bien contents de trouver des débouchés pour leurs produits sur le marché parisien par l’intermédiaire des mandataires est bien révolue.

A la fin des années 1960, nous voilà à la veille du transfert des Halles à Rungis, Baudoin occupe la moitié du Pavillon 12, et traite 40 pct du chiffre d’affaire des produits commercialisés sur le marché officiel parisien. mais l’avenir de la maison est très sombre, d’autant que les héritiers n’ont pas l’étoffe des fondateurs. Dans son livre, Jean-Claude Goudeau (2), avance que le dernier des Baudoin était cultivé, charmant même, qu’il était un aquarelliste de talent, et qu’il rêvait de devenir diplomate à sa sortie de Sciences-Po, et qu’il n’était resté dans le fromage que par simple devoir familial.

(1) Une factorerie est une sorte de comptoir où s’échangent des marchandises.

(2) Goudeau Jean-Claude, Le Transfert des Halles à Rungis, éditions Lattès.

Serge Schéhadé [Camembert-Museum, le 11 mars 2021)

 

Date de dernière mise à jour : 07/04/2021