Prudon François (Crémier)

CRÈMERIE FRANÇOIS PRUDON [PARIS]

CRÈMERIE LES LAITS DES FERMES DE LA MALMAISON ET DE SAINT-SIMON, 32 AVENUE RAPP, PARIS 7ème

Prudon Francois (crémier)François Prudon était originaire de Laizé. Il était propriétaire à Bondy d’une maison achetée en viager qui lui avait coûtée 20000 francs de l’époque. Crémier de métier, il s’installa avenue Rapp et éprouvait une forte colère et de la haine pour le baron Henri de Rothschild, fondateur de l’œuvre Philanthropique qui selon lui causa sa ruine financière. Un soir de juin 1914, il passe à l’acte et tente d’assassiner le baron. Il sera déclaré après jugement, non responsable de son acte et interné à l’asile Sainte-Anne. Voici le déroulement des faits tels que rapportés par le Petit Parisien du 22 juin 1914.

LE MEURTRIER EST UN MONOMANE, L'ÉTAT DU BLESSÉ EST SATISFAISANT.

L'attentat dont fut victime au cours de la nuit d'hier, boulevard des Capucines, le docteur Henri de Rothschild, n'aura, fort heureusement, aucune conséquence grave. Hier, le blessé allait aussi bien que possible. Dans quelques jours, il sera complètement rétabli. L'enquête à laquelle a procédé M. Court, commissaire du quartier Gaillon, lui a permis de reconstituer le drame dans tous ses détails. Elle a confirmé d'autre part que le meurtrier, François Prudon, âgé de soixante-cinq ans, établi crémier 32, avenue Rapp, est affligé de la monomanie de la persécution. Il rendit M. Henri de Rothschild qui est, comme on le sait, le créateur de l'Œuvre philanthropique du bon lait responsable de ses déboires commerciaux, bien que depuis longtemps le baron ne fût plus le directeur de cette œuvre.

La reconstitution du drame :

Après avoir assisté au gala de l'Opéra, le baron et son ami le docteur Zadoc-Kahn, médecin en chef de l'hôpital Rothschild, venaient de traverser le boulevard des Capucines. M. Henri de Rothschild arrivait à hauteur de la rue Edouard-VII, lorsque la pluie se mit à tomber. Il manifesta alors le désir de rentrer chez lui en voiture, et le docteur Kahn fit quelques pas en avant pour héler un taxi-auto. C’est à ce moment là que François Prudon tira sur lui, par derrière, un premier coup de feu. Le projectile atteignit M. de Rothschild dans la région postérieure gauche; après avoir buté contre la crête iliaque, il s'arrêta à fleur de peau, ne produisant qu'une plaie en séton. Se sentant touché, le baron se retourna vers son agresseur qui brandissait un browning et s'apprêtait à tirer encore. Levant sa canne, M. Henri de Rothschild se défendit de son mieux contre le forcené, qui, hâtivement, tira encore quatre coups de son arme. Le docteur Zadoc-Kahn, qui n'avait prêté aucune attention au premier coup de feu, croyant à l'éclatement d'un pneu, s'était retourné au second. Voyant son ami en danger, il s'était engagé pour lui porter secours. Mais, malheureusement, il glissa et tomba. Quand il se releva, il constata que le meurtrier s'enfuyait poursuivi par la foule. Sur le trottoir, la canne du baron de Rothschild, une racine d'olivier, gisait brisée; c'était la conséquence d'un coup porté sur la tête de l'homme au revolver. Tandis que le blessé était ramené à son hôtel, 33, rue du Faubourg Saint-Honoré, François Prudon était arrêté et conduit au commissariat de la rue de Choiseul.

Les Explications du meurtrier :

En réponse aux questions qui lui furent posées, le vieillard fit la déclaration suivante : "J’avais installé au numéro 6 de la rue d’Artois une boutique qui jouissait d’une magnifique prospérité. Tout marcha bien pendant six ans jusqu'au moment où l’œuvre philanthropique du bon lait, vint établir une succursale, avenue Friedland. Mes clients me quittèrent tous pour aller chez mon concurrent. Il ne me restait qu'une ressource : abandonner le quartier, ce que je fis. J'allais donc ouvrir une autre boutique au n°32 de l'avenue Rapp. Je réussis à force de travail, à me constituer une clientèle, lorsqu'il y a deux ans, tout près de moi encore, avenue La Bourdonnais, une autre succursale de l'Œuvre Philanthropique du bon lait fut ouverte. Dès lors, je recommençai à perdre tous mes clients". Voila, conclut Prudon, les raisons de ma haine contre M. Henri de Rothschild. Répondant à une question de M. Court, Prudon, ne fit aucune difficulté pour reconnaître qu'il avait, à différentes reprises, adressé des lettres de réclamation ou de menace au baron de Rothschild. Il avoua même que l'une de ces lettres, qu'il avait écrite, il y' a deux ans, au lendemain de la mort du baron Gustave de Rothschild et dans laquelle il annonçait à son destinataire qu'il le tuerait à la sortie du cimetière du Père-Lachaise, lui avait valu d'être convoqué à la préfecture de police et sévèrement admonesté. Prudon qui, dans la nuit, aussitôt après son attentat avait manifesté aux agents qui l'emmenaient son regret de ne pas avoir tué le baron, est revenu, hier matin, à de meilleurs sentiments. Il a, en effet, déclaré au commissaire, qu'il déplorait sincèrement de s'être laissé allé à commettre cet acte. Le crémier a fait connaître, en outre, qu'il avait acheté le browning, il y a un mois, dans un grand magasin du boulevard Barbès, mais il a nié énergiquement être venu rôder aux abords de l'Opéra, pour attendre le baron et commettre son crime. Il prétend avoir rencontré tout fortuitement M. Henri de Rothschild. Prudon a été envoyé au dépôt dans l'après-midi d'hier.

À la crémerie de Prudon :

La crèmerie que Prudon exploitait 32, avenue Rapp, porte comme enseigne « Les laits des fermes de la Malmaison et de Saint-Simon. C'est une boutique de couleur claire et proprettre. Mme Prudon, qui réprouve l'acte commis par son mari, savait que le crémier tenait le baron comme responsable de son peu de chance dans les affaires mais elle ne pouvait prévoir qu'il se livrerait à un attentat aussi grave. Depuis quelque, temps, nous dit-elle, le caractère de mon mari s'était profondément altéré. Il était devenu très triste, ne parlait presque plus si ce n’est pour exprimer sa haine contre le baron Henri de Rothschild. J'ignorais, ajoute la pauvre femme, que mon mari eut acheté un browning et je ne connaissais pas davantage le but de ses sorties, car, depuis jeudi, il s'absentait tous les soirs, sans me dire où il allait. Nous laissons Mme Prudon, qui se prépare à aller chez M. Court, qui l'a convoquée. L'une des filles du crémier est mariée à un tailleur du voisinage, M. Salvator. Elle est mère de deux petites filles, qui passaient leurs journées dans la boutique de l'avenue Rapp, et que le crémier affectionnait beaucoup.

800px henry de rotschild a la cote de chanteloup en 1900

Chez le baron de Rothschild :

M. Court s'est rendu dans la nuit à l'hôlel de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, pour recueillir la déposition du blessé. Cette déposition confirme en tous points la relation que nous publions plus haut. M. Henri de Rothschild ne connaissait pas personnellement son agresseur. Il le vit pour la première fois à lu sortie de l'Opéra. De même, le baron n’a pas gardé souvenir des lettres de réclamation que Prudon a pu lui adresser. Il n'a conservé que celles qui contenaient des menaces de mort et les a transmises à la préfecture de police. Dans la matinée, les docteurs Zadoc-Kahn et Abel Desjardins ont extrait la balle tirée par Prudon. L'opération a été très bien supportée. Aussitôt après, les deux médecins signaient le bulletin suivant : « Nuit calme, la balle a été extraite ce matin, état satisfaisant, pas de fièvre » Durant toute la journée d'hier, de nombreuses personnalités du monde de la finance, des lettres, des arts, des sciences sont allées prendre des nouvelles du blessé. Parmi elles citons MM. Germain Bapst, Henri Kapferer, comte Vigier, Jean Béraud. Louis Payen, commandant Chazes, comte Greffulhe, Henry Deutsch de la Meurthe, baron de Zuylen de Nyevelt, le professeur Landouzy, le grand rabbin Dreyfus, le baron Lambert, Alexandre Duval, etc.

Rappelons aussi que quelques années plus tôt, le syndicat des Crémiers Parisiens s’opposait au Baron HENRI DE ROTSCHILD

TRIBUNAL DE COMMERCE DE LA SEINE Audience du 20 janvier 1908. Le Syndicat des Crémiers de Paris et des départements contre le Docteur Henri de Rothschild, MM. Hauser et Révil et les établissements Amiot. — Demande de suppression des dénominations "Œuvre philanthropique, Œuvre humanitaire, Fondation Rothschild, etc.

Un Syndicat des Crémiers a qualité pour poursuivre la suppression de certaines dénominations génériques, susceptibles de créer une inégalité de concurrence pouvant nuire à la collectivité des crémiers, l'action ainsi intentée ayant pour but la défense d'un intérêt général s'appliquant à la profession exercée par les membres du Syndicat. Le mot œuvre par lui-même n'évoque en aucune façon une idée commerciale, alors surtout que ce mot est suivi de qualificatifs : humanitaire, bienfaisante, et la réunion de ces mots indique l'idée d'une œuvre charitable à l'exclusion de toute idée de lucre. C'est donc abusivement que les dénominations " d'œuvre bienfaisante" ou d' « œuvre humanitaire » sont appliquées à des établissements commerciaux susceptibles de produire des bénéfices à ceux qui les exploitent:

Alors même que les propriétaires desdits établissements abandonnent une partie de leurs bénéfices au profit de bonnes œuvres et qu'ainsi ces exploitations procèdent d'une idée généreuse qu'on ne saurait qu'encourager, il n'en est pas moins vrai que de telles dénominations ne révèlent en aucune façon le caractère commercial desdites exploitations et que, par contre, elles, sont de nature à apporter une confusion dans l'esprit de la clientèle ; leur suppression doit donc être ordonnée. Mais si l'emploi de ces dénominations peut constituer une réclame paraissant exagérée, il ne saurait être assimilé à des actes de concurrence déloyale ou illicite, alors qu'aucun fait de dénigrement n'est révélé.

Serge Schéhadé [Camembert-Museum, le 20 janvier 2020]

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 20/01/2020