Fromagerie Moulinet (Saint-Léger-sur-Sarthe, 61)

61 saint leger sur sarthe le haras de poeley vers 1909 1910

MOULINET OVIDE ET ANDRÉ [SAINT-LÉGER-SUR-SARTHE, 61] par Gérard Clouet.

Un haras qui produit des fromages ce n'est guère fréquent. Et pourtant tel a été le cas pour le Haras de La Haie de Poëley à Saint Léger-sur-Sarthe (61) où se sont succédé deux générations de la famille Moulinet, Ovide puis son fils André. Ovide Moulinet est bien connu dans le monde hippique. Il est un éleveur de chevaux anglo-normands réputé. L'un des produits de son élevage, « Kébir » remporte en 1913 le prix du Président de la République, une course de trot monté à l'hippodrome de Vincennes. Pour rendre hommage à son propriétaire un prix de trot attelé « Ovide Moulinet » est créé à Vincennes et figure au programme des courses chaque année au mois de février.

Ovide Moulinet naît en 1863 à Moulin-sur-Orne (61) où son père Philogène Moulinet (1833-1890) est « propriétaire ». La famille déménage plus tard pour s'installer à Sentilly (61). Philogène est un éleveur de chevaux estimé qui obtient très régulièrement des prix dans les concours locaux et régionaux. La famille Moulinet semble connaître une certaine prospérité qui permet à leur fils Ovide de suivre des études secondaires. Il obtient son bac à Paris en 1882*1. À 20 ans pour satisfaire à ses obligations militaires, il choisit le statut d'engagé conditionnel qui lui permet de ne faire qu'une seule année de service militaire. Au moment de son engagement il déclare être agriculteur. Il est affecté en novembre au 130ième Régiment d'Infanterie caserné à Mayenne. Libéré en septembre 1884, il revient à Sentilly. En 1886, il publie dans le bulletin de la Société Flammarion d'Argentan un article intitulé «  Le révolutionnaire Sentilly »*2.

Philogène Moulinet est maire de la commune quand il décède en 1890*3

Ovide se marie en 1894 avec Marie Drouin (1874-1949) dont le père Julien ( 1832-1892) était « herbager » à Saint Léger sur Sarthe. En fait il était avant tout un éleveur de chevaux apprécié. Le couple s'installe à La Haie de Poëley où il est recensé en 1896 avec 3 employés. Cette même année le couple a son premier enfant Renée. Deux autres suivent , Madeleine en 1898, André en 1902.
Le recensement de 1906 semble traduire une certaine aisance car le couple emploie 6 domestiques dont 1 jockey. Il en est de même en 1911 mais l'effectif du personnel inclut une institutrice anglaise. Madeleine leur seconde fille décède brutalement en novembre 1912 alors qu'elle séjourne chez ses grand-parents à Sentilly*4.

En 1913 Ovide Moulinet est candidat au Conseil général et se présente aux élections dans le canton de Pervenchères, mais n' emporte pas le siège à pourvoir*5 . La période de la grande guerre ne semble pas avoir affecté la bonne santé économique du domaine puisque en 1921, La Haie de Poëley compte 11 employés dont un « stud groom »*6. Le nombre d'emplois reste identique en 1926 et comprend 1 jockey et 1 fromager.

Ovide Moulinet est élu pendant plusieurs années au conseil d'administration de la société d'Agriculture de l'Orne et fondation Loutreuil .

En octobre 1920 sa fille aînée Renée épouse Joseph Lepetit, (1877- 1939),le second des fils d'Auguste fondateur de la renommée « maison » Lepetit dans le Calvados. Il est probable que ce mariage soit à mettre plus au compte des relations du milieu hippique que celles du monde des fromagers puisque la famille Lepetit possédait des chevaux de courses*7.

Quant à son fils unique André, il se marie en 1930 avec Madeleine Baillet (1909-1952) originaire de Versailles (78). Ovide quitte alors le haras pour aller s'installer à Sentilly où vit encore sa mère Maria Sourcis, laissant la place au jeune couple. En 1932 il devient maire de cette commune*8. Il décède en 1942 à Bretteville-sur-Dives chez sa fille Renée.*9

Au domaine de La Haie de Poëley, la fabrication de camembert a manifestement constitué une activité annexe à celles propres d'un haras, mais économiquement non négligeable. C'est sans doute là l'origine de sa longévité puisqu'elle a duré une bonne soixantaine d'années. Cette activité a très certainement été initiée par Ovide Moulinet peu après son installation en 1894. Les seuls éléments qui témoignent de ces débuts sont les étiquettes à son nom dont la plus ancienne imprimée par Orgeval & Cie 34 rue Vavin à Paris peut être datée de la période 1895-1900. Deux autres ont été éditées par l'imprimerie Grange 55 avenue du Maine à Paris qui peuvent être considérées pour l'une comme postérieure à 1906 et pour l'autre à 1909 puisqu'elle comporte un timbre du syndicat des fabricants du véritable camembert de Normandie dont l'apposition est apparue cette année là.

Moulinet-05 (Poeley 05nv) Moulinet-10 (Poeley-10nv) Moulinet-30nv (Saint-Léger-Sur-Sarthe) Moulinet-39 (André 39nv)

Pour ces deux étiquettes l'illustration utilisée représente la maison d'habitation, les dépendances et la cour du haras de la Haie de Poëley. Et en matière de localisation, il est indiqué - sans doute pour des considérations commerciales- « Le Mesle » et non comme il conviendrait pour être exact « Saint Léger sur Sarthe ». C'est ce qui sème la confusion chez les collectionneurs qui situent - à tort - la fromagerie Moulinet au Mesle sur Sarthe. Probablement pour honorer des commandes Ovide Moulinet n'hésite pas à se fournir auprès d'autres fromageries pour compléter sa production. C'est le cas en 1910 comme en témoignent les factures découvertes dans les archives Lavalou pour la livraison de 12 paillons de fromages.*10

Saint-Léger-sur-Sarthe vers 1930

Au cours de la période de l'entre deux guerres des travaux de modernisation sont entrepris sur la maison d'habitation apportant des changements importants sur la façade. Une véranda est ajoutée et elle est habillée comme la façade de pans de bois dans un style néo Pays d'Auge très prisé sur les côtes du Calvados. Les étiquettes utilisées par André Moulinet qui a succédé à son père témoignent de ces transformations (tout comme les cartes postales de l'époque). Et il reprend le même principe de localisation au Mesle. En 1931, 15 employés sont présents sur le domaine dont un couple de fromagers originaire de la Mayenne. Cette même année André Moulinet entre à son tour au conseil d'administration de la société d'Agriculture de l'Orne. En 1936 en plus des enfants du couple nés en 1931 (Nicole) et 1935 (Bernard),le décompte du recensement fait apparaître 14 employés dont 1 jockey.

La période de la seconde guerre mondiale et notamment de l'occupation allemande n'est pas renseignée. En 1946 André Moulinet se déclare éleveur-fromager tandis son épouse Madeleine apparaît avec la mention « Industrielle ». En ces temps difficiles de l'immédiat après-guerre les parents de Madeleine, son père Marcel expert auprès des tribunaux, sa mère Germaine et ses deux frères Bernard et Henri ont trouvé refuge à La Haie de Poëley. Les deux jeunes frères Baillet y sont d'ailleurs recensés en tant qu'aides de culture. La fabrication de fromage est assurée par un jeune fromager de 21 ans. Un dernier enfant, Jacques, naît en 1948.
André moulinet décède au début de l'année 1952. Son épouse continue l'exploitation et la production de fromage . En 1954 un fromager figure toujours parmi le personnel. La fabrication cesse vers 1962.


Sources : (1) Le Journal d'Alençon et du département de l'Orne 1882/08/01 (2) Bulletin de la société Flammarion d'Argentan 1886. (3) Le Journal d'Alençon et du département de l'Orne 1890/04/22. (4) Le Journal de l'Orne 1912/11/16 (5) Le Journal de l'Orne 1913/07/05 (6) Valet d'écurie. (7) Fromages et fromageries du Pays d'Auge. Michel Lebec. Éditions de La Viette.2012. P.184. (8) Le Journal de l'Orne 1932/10/29 (9) Le Journal de l'Orne 1942/12/11 (10) AD 61 243 J

Gérard Clouet [Camembert-Museum, première publication le 1er janvier 2021]

Date de dernière mise à jour : 13/11/2021