Hutin Jules, Fromagerie de Blaise-sous-Arzillières.

51-Hutin Jules Blaise-sous-Arzillières

FROMAGERIE JULES HUTIN, BLAISE-SOUS-ARZILLIÈRES (51) par Serge Schéhadé.

ORIGINE DE LA FROMAGERIE : En 1886, Monsieur Vincent Vincent décide d’aménager à proximité de sa ferme une laiterie ainsi qu’une fromagerie. D’importants travaux sont entrepris vers 1910 pour la fabrication de lait en poudre. Une machine à vapeur est installée vers 1919. les parties constituantes de l’usine sont un logement patronal, un atelier de fabrication, une cour, un magasin industriel, un atelier de réparation, ainsi qu’un grand bâtiment en parpaing de béton et enduit qui servait au stockage de la poudre de lait et qui abritait la chaufferie. En 1924, Monsieur Vincent va céder son usine à la famille de M. Jules Hutin.

BIOGRAPHIE DE JULES HUTIN : 

Jules Hutin est né le 11 novembre 1895 à Bovée-sur-Barboure. Il est le fils de Henri Lucien Auguste Hutin (1858-1932) et de Marie Caroline Gillard (1859-1936). En novembre 1919, tout juste dégagé de ses obligations militaires où il avait volontairement servi dans un bataillon de chasseurs commandé par le colonel Driant, une figure mythique de la Grande Guerre, qui allait résister avec ses hommes à l’attaque de Verdun par les allemands le 21 février 1916. Cerné par les troupes du Kronprinz au bois des Caures (Verdun), Driant meurt avec une centaine d’hommes restés vivants sur les 1.200 engagés des 56e et 59e bataillons de chasseurs. Jules Hutin, âgé de 24 ans, va créer avec son frère Paul, une fromagerie à Gigny-aux-Bois, un petit village du bocage Champenois, tout proche du berceau familial. Le 10 mars 1921, Jules Hutin épouse Marthe Paule Emilie Vatelot. À Neuilly-sur-Seine. 1922 est l’année de création de la Fromagerie de Rances dans l’Aube, associé à Monsieur Dupin. 1923, la Fromagerie d’Arrigny (Marne) est fondée. Reprise en 1924 de la fromagerie de M. DARD à Stainville (55). 1926, Jules Hutin reprend la Fromagerie de Xures (Meurthe & Moselle). En 1935, Jules Hutin dépose (05 mars 1935), cinq marques de fromage : le Carré d’Or, Fromage surchoix le Crémeux, Fromage Surchoix Perfecta, Pont-l’évêque Extra Mon Favori, Fromage Surchoix Le Délicieux. La même année, le 19 juin, il va déposer la marque de fromage le Saint-Cloud. 1936 rachat d’une usine à La Neuville-lès-Wasigny, dans les Ardennes. Reprise en 1938 de deux fromageries à Voué et Nozay, dans l’aube. Le 10 janvier 1939, rachat de la Coopérative de Saint-Aubin-Sur-Aire (Meuse) (55). Cette expansion frénétique n'est pa sans rappeler celle des Établissements Besnier à Laval, devenu le géant Lactalis.

Usine de Blaise Arzillières schématisée

ARTICLE PARU DANS L’ILLUSTRATION DU 14 FÉVRIER 1942 , DÉCRIVANT UNE EXPLOITATION LAITIÈRE MODERNE, APPARTENANT À MONSIEUR JULES HUTIN.

« Le visiteur, généralement peu prévenu des progrès techniques très importants réalisés dans l’industrie laitière, est toujours extrêmement surpris lorsqu’on lui fait parcourir les diverses installations de Blaise-sous-Arzillières dans la Marne. Cet établissement est spécialisé depuis de nombreuses années dans la fabrication de bries renommés. En outre, diverses salles sont consacrées à la fabrication de Port-Saluts pasteurisés, fabriqués surtout pendant l’été, et de fromages frais spéciaux dits « fromages de régime » également très appréciés en été. A proximité immédiate se trouvent les caves et les hâloirs destinés à la maturation, à l’affinage et à la conservation des produits fabriqués non seulement dans l’usine de Blaise, mais aussi dans tout le réseau de fromageries que Monsieur Jules Hutin, animateur de l’exploitation, possède dans la Marne, la Meuse, l’Aube, la Meurthe-et-Moselle et les Ardennes. Les caves et les hâloirs comprennent seize salles calorifugées desservies chacune par un frigofère alimenté par une distribution de saumure à 10 degrés en dessous de zéro. Le conditionnement d’air est assuré automatiquement par des thermostats de manière à obtenir des températures allant de moins 8 degrés à plus de quinze degrés. L’ensemble des installations est alimenté par des compresseurs modernes produisant 150,000 frigories heure.

L’organisation concernant le ramassage du lait, le transport et les expéditions ne comprend pas moins de soixantes véhicules automobiles alimentés en partie par gazogène au charbon de bois, ce dernier étant fabriqué par l’établissement. Une scierie est spécialement chargée de l’exécution des emballages nécessaires. Des porcheries d’engraissement établies près de chaque fromagerie et abritant une moyenne de 3500 porcs, absorbent les sous-produits de la fabrication. Ce n’est pas tout : Ces porcheries sont alimentées par une vaste porcherie d’élevage comprenant 250 reproducteurs sélectionnés, et la nourriture des porcs elle-même est fournie par une fabrique d’aliments composés, annexée à l’établissement, traitant 100 quintaux d’orge par jour. Ceci n’est qu’un coup d’œil d’ensemble jeté sur une maison bien française et à laquelle de très anciennes traditions de qualité assurent une clientèle qui en 1938 atteignait le chiffre de 1400 acheteurs, répartis principalement dans l’Est et le Nord de la France, la Bretagne, la Côte d’Azur et l’Afrique du Nord ; Avant même la guerre, un certain contingent était expédié en Belgique, en Suisse et en Angleterre ».

LA DÉPORTATION : 1944 Jules Hutin est déporté au camp de concentration Nazi d’Ebensee, en Autriche, où les prisonniers travaillaient 14 heures par jour à construire des tunnels devant accueillir des usines d’armement. Les prisonniers affamés vivaient dans des conditions inhumaines. Jules Hutin va y mourir d’épuisement à l’âge de 50 ans le 20 avril 1945. Cruauté du sort, le camp était libéré deux semaines plus tard, le 06 mai 1945.

LA RELÈVE EST QUAND-MÊME ASSURÉE : Madame Jules Hutin, aidée par certains collaborateurs de son époux, comme messieurs Simon et Verrier dirige du mieux possible la société. En 1947, ses deux fils Gérard (21 ans) et Joseph (25 ans), leurs études terminées, font leur entrée dans l’entreprise familiale. Des restructurations importantes sont mises en place avec la cession de plusieurs unités de production. C’est ainsi qu’en octobre 1949 est prise la décision de fermer l’usine de Signy l’Abbaye (Ardennes), dont le lait est ramené à La Neuville, vente de la Fromagerie de Xures (Meurthe et Moselle) en décembre 1949, car trop éloignée.. Madame Caroline Hutin est présidente en 1953 (source A.N.L.) du « Syndicat Professionnel des Entreprises d’Utilisation et de Transformation du Lait », dont le siège est situé à la chambre de Commerce de Châlons-sur-Marne. L’annuaire énumère aussi les fabrications de l’usine que sont le Brie, Saint-Paulin, Carré de l’Est, Camembert, Gruyère, Pâtes de Brie, Coulommiers et fromage de Régime. En octobre 1954 fermeture de l’usine de Gigny-Aux-Bois puis fermeture de l’usine de Favresse, dont le lait sera acheminé vers l’usine de Blaise.

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En 1946, l’usine de Blaise-sous-Arzillières ramasse et transforme 4,000,000 de litres de lait. Dix ans plus tard, les quantités de lait ramassé dépassent les 17.000.000 de litres annuellement. L’usine devenue la maison mère du groupe va se réserver la fabrication du beurre et de certains fromages ainsi que l’affinage de l’ensemble des produits, sous l’égide d’un service technique performant. La majorité des emballages, comme mentionné plus haut dans l’article de l’Illustration sont fabriqués sur place. Absorption en 1958 de la Société Hutin, Gervais, Verrier de Willencourt dans le Pas-de-Calais. En 1961, les Établissements Jules Hutin fusionnent avec les Etablissements Mallet-Alençon, de Condé-sur-Sarthe. Par la même occasion, l’usine de Voué dans l’Aube va abandonner sa fonction de transformation et devenir un simple centre de ramassage, dont le lait est aussi transformé à Blaise-sous-Arzillières. Ces concentrations apporteront plus de rationalité et d’homogénéité à la production, ce qui va valoir dès 1957 aux Éts Jules Hutin de recevoir l’Oscar de la productivité et en 1960 de quatre labels qualité France pour leurs productions. Finalement, en 1967, inauguration des nouvelles installations de l’usine de Blaise en présence de Monsieur Ortoli, Commissaire général au plan d’équipement et de la productivité. Cette année-là l’entreprise emploie sur l’ensemble de ses sites plus de 800 personnes.

LA FIN DE L’HISTOIRE : En 1972 l’usine de Blaise-sous-Arzillières est une société anonyme au capital de 7.150.000 francs français. Les fabrications sont les Fromages et Beurres Lutin de Champagne et de Normandie, du Brie Lutin (médaille d’or au Concours Général Agricole en 1968), et enfin de la Pointe de Brie Lutin. En 1973, l’usine de Blaise est vendue à Express-Dery, un groupe anglais, et vu l’accentuation des pertes, Le groupe revend deux ans plus tard à Jean Loevenbruck. Après quelques années d’activité, dépôt de bilan le 12 juin 1978.

Serge Schéhadé [Camembert-Museum, le 30 juillet 2021]

 

Date de dernière mise à jour : 03/11/2023