Pâturages Comtois (70)

Usine paturages

FROMAGERIE DES PÂTURAGES COMTOIS (par Gérard Gibey)

Aux confins de la Haute-Saône, le pays des hauts du val de Saône en limite de Lorraine et Champagne, est par tradition une région d'élevage laitier. C'est également le fief de la dernière coopérative fromagère de Haute-Saône: la fromagerie des pâturages comtois. Fait exceptionnel en ce jeudi 29 octobre 2015, l'activité de la fromagerie s'est arrêtée... et les portes de |'entreprise se sont ouvertes pour recevoir plus de 450 personnes conviées à l'occasion du 30°anniversaire de Pâturages Comtois, événement placé sous la présidence de Madame Marie-Françoise Lecaillon, préfet de la Haute-Saône, Yves Krattinger, président du conseil départemental, Alain Chrétien, député de la Haute-Saône, en présence des sociétaires, personnel et nombreux élus et représentants d’organisations professionnelles.

Fêter un 30° anniversaire, est assez banal dans le milieu de l'industrie laitière où il est de bon ton de mettre en évidence dans toute pub un enracinement plus que centenaire, qui d'ailleurs mériterait parfois d'être justifié... ! N`étant pas centenaire, l'histoire de Pâturages Comtois n'en est pas moins exemplaire et mérite d'être rapportée. Surfant depuis 30 ans, dans une économie instable, parsemée d'écueils... le staff fait preuve en permanence d'une grande réactivité et flexibilité, pour s'adapter aux évolutions, aux caprices du commerce, à une distribution ultra concentrée et faire face à des réglementations et politiques nationales, communautaires et internationales particulièrement évolutives... telle la décision d'un embargo, annulant du jour au lendemain les fruits d'années de travail pour la conquête de débouchés en Russie... ! Il est évident que vivant l'instant présent intensément, il reste peu de temps pour se remémorer l'histoire de l'entreprise dont les plus belles pages se sont entassées sur des rayons d'archives. Pourtant ce passé vient de ressurgir à l'occasion de ce 30° anniversaire.

Quand le passé éclaire le présent…

Dans les années 1970, alors que l'on compte encore dans le département 136 fromageries (dont 74 coopératives fromagères) produisant annuellement 17.500 tonnes d'emmental, soit 15% de la production nationale, la Haute-Saône caracole en tête des départements producteurs. Pourtant, le marché est en crise et tous les responsables professionnels savent que l'Est-Central est en train de perdre son monopole au bénéfice de la Bretagne où d'importants groupes laitiers confrontés en permanence à une surproduction de beurre et de poudre, se sont réorientés avec succès dans la fabrication industrielle d'emmental. Evolution irréversible puisqu'en 1978 pour la première fois la production d'emmental des 5 entreprises Bretonnes dépasse celui des 170 fromageries Franc-comtoises ...!

Il est difficile aujourd'hui d'imaginer qu'il y a encore cinquante ans, chaque village des hauts du val de Saône, possédait sa fromagerie, ces petites fruitières où se rencontraient matin et soir à l'heure de la coulée, l'ensemble des producteurs de lait. Ces petites coopératives fabriquant par tradition des pâtes pressées cuites (gruyère puis emmental) dont certaines centenaires et qui ont dû fermer leurs portes les unes après les autres, victimes de cette industrialisation de la filière. C'est ainsi que durant les années 80, la filière laitière haut-saônoise est en crise :

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1) le marché de l'emmental est instable et les cours sont à la baisse... (2) la coopération agricole vient d'enregistrer les faillites de : l'Union des caves d'affinage de Franche Comté (l'Ucafco) et de la coop. d'appro. de Vesoul-Belfort (Cavb)...  (3) Côté production laitière, on enregistre une concentration avec la création d'importants Gaec qui ont tendance à adopter un système d'alimentation à base d'ensilage de maïs pour leurs vaches laitières, mettant en péril les fabrications d'emmental...  (4) le syndicalisme manifeste contre la mise en place de quotas laitiers, estimant que cette décision communautaire condamne tout développement de la filière laitière...  (5) - 30% des laits collectés sont transformés hors département par de grands groupes laitiers commme Bongrain - SAFR - Marcillat...

C'est dans ce contexte particulièrement difficile que les dirigeants des coopératives laitières de Corre et d'Aboncourt, distantes d'une vingtaine de km l'une de l'autre, décident d'assumer ensemble leur avenir en fusionnant à compter du 1° janvier 1985.L'acte daté du 4 mai 1985, officialise la création de la coopérative des Hauts du Val de Saône, qui choisit le site d'Aboncourt pour s'installer. Fusion immédiatement suivie par l'adhésion des coopératives de Magny-les-Jussey et Venisey.

C`est la suite logique d'une restructuration engagée depuis plus d'une décennie, la coopérative de Corre ayant déjà reçu les producteurs des coopératives de Demangevelle (1968) ~ Passavant (1977) et Mailleroncourt-st Pancras (1979) alors que la coopérative d'Aboncourt a accueilli les producteurs de la coopérative de Baulay (1973), ainsi que ceux de deux laiteries privées : Barberot à Purgerot (1978) et Ermoli à Contréglise (1981).

Ce n'est pas un hasard, si on trouve à la tête de ces coopératives des hommes de conviction, pour qui la coopération laitière est l'expression d'une solidarité et équité entre les sociétaires et surtout soucieux de l'encrage sur place d'une activité dont dépend la rentabilité de leurs exploitations... Des hommes passionnés qui savent transmettre leurs convictions, fixer des objectifs et les faire partager par les administrateurs, sociétaires et personnel technique ce qui explique peut-être leur réussite...

L'originalité de l'initiative, tient surtout dans l'objectif de regrouper les unités du secteur afin d'avoir la possibilité de changer de cap en s'orientant vers la fabrication industrielle de fromages a pâtes molles, tout en maintenant une filière emmental grand cru. Comme l'a souligné le président Yves Mercier, dans un discours fort complet d'une rare qualité, on ne passe pas du jour au lendemain d'une production artisanale à une production industrielle, ce fut une décision longuement réfléchie car conditionnant l'avenir même de l'entreprise et des exploitations des sociétaires. Partant de rien, il fallut concevoir et édifier les nouvelles installations, maîtriser de nouvelles techniques de fabrication en l'absence de tradition fromagère pâtes molles, créer un réseau commercial et adapter les fabrications fromagères aux exigences des nouveaux débouchés. Un long parcours semé d'obstacles, mais les résultats encourageants vont définitivement placer la coopérative des hauts du val de Saône, comme l'unique pole de regroupement de l'ensemble des coopératives du secteur. C`est ainsi que l'on enregistre l'arrivée des coopératives de : Villars-le-Pautel (1987) - Chauvirey-le-Chatel (1988)- Cintrey (1988)- Blondefontaine (1989)-la Roche Morey (1992) et Jonvelle (1995).

Restructuration réussie grâce à des administrateurs et un directeur, hommes de dialogue apportant des réponses et surtout proposant la formation et reclassement du personnel fromager des coopératives absorbées, afin d'éviter tout licenciement. Notons également que la réputation de la coopérative, va faciliter l'adhésion à titre individuel de producteurs de lait. Ce fut notamment durant la dernière décennie, le cas des producteurs de l'ex-coopérative de Rioz, qui après une série de restructurations décevantes, ont rejoint les hauts du val de Saône. Ce n'est qu`en 2007, que la coopérative deviendra la SCAL Pâturages Comtois.

Comme en témoigne son arbre généalogique, pâturages Comtois est le résultat de restructurations en cascade, d'une vingtaine de fromageries qui forment aujourd'hui son assise et son ancrage dans les hauts du val de Saône. Un modèle d'activité économique dans une zone rurale, où les entreprises se font rares. Un ensemble intéressant pour l'historien, car illustrant plus de 150 ans de l'histoire du mouvement coopératif en Haute-Saône.

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Pâturages Comtois, c'est aujourd'hui 32 millions de litres de lait traités par an, ce qui fait dire au président Mercier, "dans l’hexagone nous sommes une petite fromagerie, nous le savons et nous nous en accommodons...", insistant particulièrement sur cette exceptionnelle spécialisation de la filière, tant au niveau production laitière où la production moyenne atteint aujourd'hui 440.000 litres de lait/an par exploitation, que de la transformation où plus de 10 millions d'euros furent investis à la modernisation des installations et cela en l'absence de toute subvention. Parlant de la commercialisation des produits laitiers en France, il regretta qu'un "système pervers" limite les possibilités de référencement dans la grande distribution. Pâturages Comtois, a donc cherché des marchés ailleurs et réalise aujourd'hui 80% de son chiffre d'affaires à l'export, dans une cinquantaine de pays sur les 5 continents ...!

Trente ans plus tard, c'est donc en toute logique qu'un vibrant hommage vient d'être rendu aux artisans de cette épopée, à commencer par les présidents fondateurs : Claude Laillet et Jean Sperka et à leurs successeurs : Jean-Pierre Jardel, Claude Parisot et aujourd'hui Guy Mercier, aux directeurs Henri Carteret, qui dirigea l'entreprise entre 1985 et 2000 et à son successeur Norbert Mougey, mais également au personnel lors d`une remise de 33 médailles du travail. Norbert Mougey, recevant les insignes d'officier de l'ordre du mérite agricole des mains de Yves Krattinger, président du conseil départemental.

Une journée mémorable, qui en appelle d'autres car le président Guy Mercier, en conclusion déclara avec beaucoup de conviction : "nous sommes prêts à relever les défis de développement qui nous attendent", avant d'inviter chacun à un copieux buffet composé de ...produits régionaux.

Gérard Gibey (Camembert-Museum le 29 novembre 2015)

 

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 04/01/2016