LOUIS XIV (1638-1715)

Louis-XIV (Portrait)

LE GLORIEUX RÈGNE DE LOUIS XIV, LE ROI SOLEIL, À TRAVERS QUELQUES HISTOIRES INSOLITES

Resplendlir n'est pas une tâche de tout repos !

Les perruques du Roi Soleil ont commencé à faire leur apparition durant le règne de son père : fâché de perdre sa chevelure dès ses 30 ans, Louis XIII commence à porter des « fausses perruques », dont le nom se simplifie bientôt en « perruques ». Lorsque Louis XIV entame son règne, et bien qu’il ait lui-même une chevelure abondante (qu’il ne commencera à perdre qu’à partir de 38 ans), il continue d’en user systématiquement et accentue leurs caractéristiques : elles vont devenir très longues, tombant largement en dessous des épaules, bouclées, et bientôt caractériser le roi au point qu’aucune représentation de lui n’existe où elles n’apparaissent pas. Du fait du caractère solaire de sa personnalité comme de son règne, le roi est largement imité dans sa pratique, d’abord par les courtisans qui veulent se faire bien voir de lui, puis par le tout-venant. Seuls les ecclésiastiques mettront du temps à se plier à cette mode, en raison de contraintes dues à l’apparat symbolique de l’Église, mais finiront par y venir. Le roi porte d’abord des « tours », des coins appliqués des deux côtés et derrière la tête, qui se confondent avec les vrais cheveux pour une plus grande épaisseur[42]. Puis, la perruque royale marque plusieurs évolutions : naît tout d’abord la distinction entre perruque courte réservée à la cérémonie du lever et perruque longue pour les représentations officielles. De blondes, les perruques passent à brunes et deviennent de plus en plus longues, finissant par s’étendre jusqu’au bas du dos. Puis, aux alentours de 1690, elles commencent le mouvement inverse : elles raccourcissent et se dressent avec un toupet frisé de cinq à six pouces de haut, formant deux pointes[43], redevenant claires, voire blanches, poudrées et parfumées. Ces perruques coûtent une véritable fortune, aux alentours de 1000 livres, soit 3 années de salaire pour un maître-ouvrier. On pratique également des fenêtres dans les perruques afin de mêler vrais et faux cheveux sans que cela se remarque. La confection d’une perruque demande le concours d’une cinquantaine de chevelures de femmes différentes, et les perruquiers – dont le nombre explose littéralement en cette période prospère – se ravitaillent dans le Nord ou en Flandre, pays où la forte consommation de bière est censée œuvrer à la bonne santé du cheveu. Les plus fortunés de ces perruquiers n’hésitent pas à s’adjoindre les services de prospecteurs qui écument le royaume pour trouver leur bonheur, voire négocient les cheveux de personnes récemment décédées. C’est ensuite à l’artiste perruquier lui-même de réaliser la perruque en question en réunissant de façon harmonieuse ces différentes mèches. Seuls les meilleurs de ces spécialistes peuvent travailler pour le roi. Le premier d’entre eux est Binet, qui donne carrément son nom aux « binettes », perruques démesurées et extravagantes d’apparat qui sont restées célèbres jusqu’à aujourd’hui (d’où l’expression qu’on emploie encore : « avoir une drôle de binette »). Il crée une perruque que Louis XIV porte lors de la représentation de Phébus aux Tuileries en 1662 et dont il est si fier qu’il l’expose comme le joyau de sa collection dans son cabinet des perruques. La famille Quentin tient également une place importante dans la confection des perruques royales : les deux frères qui fabriquent les perruques plaisant tant au roi sont anoblis, enrichis et peuvent même commencer à produire des « perruques passées au métier », c’est-à-dire produites industriellement et exportées dans toute l’Europe. Les perruques présentent tout de même de gros inconvénients : du fait de leur volume et de la consistance même des cheveux, elles offrent des conditions idéales pour que s’y nichent la poussière et la vermine. Le roi souffre ainsi en 1696 d’un furoncle dégénérant en anthrax suppurant, causé par le port prolongé et le frottement de la perruque ; cet anthrax ayant pris une telle ampleur sur toute sa nuque, il faut opérer le roi par incision[44]. La mésaventure se reproduira 10 ans plus tard, avec les mêmes conséquences. Les perruques ont de plus un poids non négligeable (entre un et deux kilos) qui, appliqué sur la tête à longueur de journée, provoque des céphalées récurrentes, voire des vertiges, au souverain. Resplendir n’est pas une tâche de tout repos.

LouisXIV 2nv Roi Soleil Louis XIV 3nv Roi-Soleil

Le Quotidien à Versailles : Puanteur et Saleté.

Le Roi-Soleil se fait un devoir de ne cacher à ses sujets que le strict minimum de ses activités : les moments qu’il passe en galante compagnie ou son sommeil proprement dit. Tout le reste est accompli en public par le roi, et notamment les ablutions. Louis XIV se lave bel et bien, mais il ne passe pas beaucoup de temps à cet exercice, qu’il survole peut-être parce que cela l’oblige à se dénuder devant une foule nombreuse. De toute façon, ses appartements comme ceux de la plupart des gens aisés de l’époque ne sont pas équipés pour mener grande toilette : dans le meilleur des cas, une grande bassine permet d’enlever les saletés les plus visibles rapidement. Louis XIV dispose cependant d’un « appartement des bains », au rez-de-chaussée du palais, qui dispose d’une grande vasque en marbre rose. Pierre de Nolhac se figure ainsi son usage : On imagine aisément nos chasseurs arrivant avec des chausses et des bottes toutes maculées de boues [...] pénétrant par la porte du rez-de-chaussée, directement dans l’appartement des bains et s’asseyant sur la banquette de la vasque pour procéder à des ablutions en commun. Le duc de Luynes, qui écrit en 1750 (soit 35 ans après la mort de Louis XIV), commente également la redécouverte de ce bloc de marbre, qui avait été enseveli par des travaux d’aménagement : Cette estrade, élevée de deux marches, avait été faite du temps de Louis XIV pour couvrir une cuve de marbre mise plus anciennement pour baigner plusieurs personnes ensemble, comme c’était alors l’usage. […] On descend par trois marches sur une tablette qui règne tout autour et qui servait à s’asseoir pour se baigner. Comme il est impossible de la sortir du lieu où elle est sans la casser, on prend le parti de la descendre en bas, afin que le plancher de la chambre où elle est soit tout de plainpied. Même si la possibilité du bain existe, il est peu probable que le Roi-Soleil en ait fait un usage régulier : le bain est trop souvent considéré à son époque comme un soin plutôt qu’une pratique hygiénique. Certains autres occupants parmi les plus prestigieux du château de Versailles possèdent également leurs propres appartements de bain, mais ils se comptent sur les doigts de la main. Tout cela sans oublier d’autres problèmes liés aux pratiques rencontrées dans le palais, dont certaines sont décrites par La Morandière : le palais est, dit-il, le réceptacle de toutes les horreurs de l’humanité... Le parc, les jardins, le château même font soulever le cœur par leurs mauvaises odeurs. Les passages de communications, les cours, les bâtiments en ailes, les corridors sont remplis d’urines et de matières fécales ; au pied même de l’aile des Ministres, un charcutier saigne et grille ses porcs tous les matins ; l’avenue de Saint-Cloud est couverte d’eaux croupissantes et de chats morts. Ainsi, les puanteurs qui flottent à Versailles sont fort nombreuses et constitueraient pour nos odorats désormais habitués à des fragrances plus délicates un supplice permanent. Les toilettes ou plutôt leur absence constitueraient cependant pour nous la plus grande difficulté à concevoir, si nous devions dès demain être amenés à nous transporter à l’époque du Roi-Soleil. Encore faut-il bien dire que les conditions de salubrité en la matière s’améliorent nettement sous Louis XIV : en effet, les fosses d’aisances ne sont plus laissées à l’abandon, mais isolées par des travaux de maçonnerie, qui permettent ainsi d’éviter qu’elles polluent régulièrement les eaux souterraines du château (ou qu’elles empestent littéralement les alentours). Cette amélioration ne suffit cependant pas à remédier à une situation catastrophique pour ce qui est de la distribution des latrines dans le château : en dehors des cabinets privés du roi, il n’existe en effet en tout et pour tout que deux toilettes, les latrines derrière l’encoignure du grand escalier, et les coulettes des pierres à uriner des galeries de la grande aile[22]. À la fin du règne de Louis XIV, il n’y aura que 35 fosses d’aisances pour recueillir les déjections issues de ces 2 latrines, tout cela pour un nombre de résidents au château oscillant entre 3000 et 4000 personnes. Cette situation est évidemment intenable, et les courtisans n’hésitent pas à se soulager où et quand ils le peuvent, et à déverser le contenu de leurs pots de chambre directement par la fenêtre de leurs appartements. Au point même que tout le monde a l’habitude de traverser les cours du château en se munissant de grands parapluies de cuir, non pour se protéger des intempéries, mais pour éviter d’être aspergés des excréments qui risquent à tout moment de finir leur course sur le visage de l’imprudent qui n’aurait pas pris la peine de se protéger.

Quinze mille invités au spectacle du Grand Carrousel des Tuileries.

Moins maîtrisé sans doute que les fêtes qu’il donnera par la suite en son château de Versailles, ce grand carrousel a pourtant été l’occasion pour le roi, un an après le décès de Mazarin et alors qu’il assume le pouvoir seul, de faire la démonstration de sa puissance comme de mettre en place la symbolique très forte qui lui restera associée tout au long de son règne. Louis XIV se montre alors autant un homme de spectacle qu’un homme de pouvoir. L’idée d’organiser ces festivités à Versailles ne vient même pas au souverain, qui est encore largement ignorant des possibilités que lui offrira plus tard ce qui n’est encore qu’un pavillon de chasse. Pour le reste, il a déjà une assez bonne idée des composantes qui constituent à ses yeux une grande fête : impressionnant nombre d’invités, folie des grandeurs quant aux dimensions des festivités proposées, et évidemment costumes, déguisements, mise en musique et soin apporté à tous les détails. La fête aura lieu les 5 et 6 juin 1662, dans la cour du palais des Tuileries, qui est alors le jardin de Mademoiselle. On construit pour l’occasion des gradins et des tribunes gigantesques pour l’époque, qui vont fermer entièrement l’espace pour délimiter le carré à l’intérieur duquel auront lieu les joutes et représentations. Les quatre rangs ainsi constitués pourront accueillir 15 000 personnes. Louis XIV 5nv Roi-Soleil

La tribune royale est quant à elle ornée d’un dais de velours pourpre à fleurs de lys et accueillera, en sus de la famille royale et de la reine mère, les princes et ambassadeurs venus de toute l’Europe pour assister au spectacle. Les invités sont certes nombreux, mais on peut également être impressionné par le nombre de cavaliers qui participeront à l’événement : 1299 ! Le 5 juin, les festivités commencent par le défilé en quadrilles des cavaliers, divisés en cinq groupes pour évoquer un mélange de prestige et d’exotisme : on a ainsi les « Romains », menés par un Louis XIV de 24 ans, fier cavalier campant un imperator, les « Persans », à la tête desquels vient Monsieur, les « Turcs », emmenés par le prince de Condé, les « Indiens » du duc d’Enghien et les « Sauvages de l’Amérique » du duc de Guise. Le défilé somptueux est suivi par une première course de tête, dont le but est d’emporter une « tête » de Turc ou de Méduse avec sa lance. Le vainqueur se voit attribuer par la reine Marie-Thérèse un somptueux trophée. Il y en aura un pour chaque course, consistant la plupart du temps en une pièce de marqueterie rehaussée de bijoux ou de diamants. Les courses s’enchaînent toute la journée, puis, le lendemain, ce sont les courses de bague qui sont à l’honneur : relevant du même principe, elles demandent un surcroît de dextérité non pour enlever une tête, mais pour passer sa lance à l’intérieur d’une bague placée à une hauteur déterminée. Dans le courant des festivités, un ballet écrit par Lully est présenté, au cours duquel le roi apparaît en Soleil tandis que les nobles et les princes de sa cour figurent les planètes qui ont besoin de l’astre du jour pour être illuminées de ses rayons comme pour trouver leur orbite. Le message, adressé aux grands du royaume à la suite de la Fronde, est plutôt clair, et c’est de cet événement que va rester au roi le surnom de Roi-Soleil. Le roi décrira ainsi cette symbolique par la suite : On choisit pour corps le soleil, qui, dans les règles de cet art, est le plus noble de tous, et qui, par la qualité d’unique, par l’éclat qui l’environne, par la lumière qu’il communique aux autres astres qui lui composent comme une espèce de cour, par le partage égal et juste qu’il fait de cette même lumière à tous les divers climats du monde, par le bien qu’il fait en tous lieux, produisant sans cesse de tous côtés la vie, la joie et l’action, par son mouvement sans relâche, où il paraît néanmoins toujours tranquille, par cette course constante et invariable, dont il ne s’écarte et ne se détourne jamais, est assurément la plus vive et la plus belle image d’un grand monarque. Mais cet événement aura également une autre postérité : c’est à son occasion que Louis Douvier crée la devise du roi : Nec Pluribus Impar (« À nul autre pareil »), que le roi décide de garder par la suite comme il l’écrit lui-même : Ce fut là que je commençai à prendre [cette devise] que j’ai toujours gardée depuis, et que vous voyez en tant de lieux. Je crus que, sans m’arrêter à quelque chose de particulier et de moindre, elle devait représenter en quelque sorte les devoirs d’un prince, et m’exciter éternellement moi-même à les remplir. Louis XIV y voit une exigence de qualité. On peut également y lire la même volonté de se démarquer qui l’animera tout au long de sa vie.

Sources : Arbois, Julien. Histoires insolites du règne de Louis XIV

Date de dernière mise à jour : 25/12/2021