Barré-Rigaud (Champsecret 61)
FROMAGERIE DE LA VENTE BARRÉ-RIGAUD [CHAMPSECRET 61] par Gérard Clouet.
Barré Isidore et Lecellier Eugènie [de 1890 à 1924]
Quand il se marie en 1890, Isidore Barré (1862 -1907) quatrième enfant d'un couple d'agriculteurs de Champsecret (61) déclare exercer la profession de cultivateur et de fabricant de fromage. Son épouse Eugénie Lecellier originaire de Banvou où elle est née en 1865 au lieu-dit « La Ribardière » est issue d'une famille qui a aussi fabriqué du fromage sans qu'il soit aujourd'hui possible d'affirmer si cette activité est antérieure ou postérieure au mariage d'Eugénie.
Absent de la ferme familiale au lieu-dit « La Vente » lors du recensement de la population de 1886, Isidore Barré figure par contre sur celui de 1891 et il précise sa profession : fabricant de fromage. Son frère Esther 33 ans est qualifié d'aide fromager. Sans que cela soit mentionné, il est plus que probable que sa jeune sœur Eugénie (1869-1955) qui habite aussi avec eux donne la main pour la fabrication du fromage. Deux domestiques complètent la main d’œuvre. En 1892 Eugénie Barré se marie avec Victor Hochet qui exerce le métier de bourrelier à Saint Bomer les Forges, où elle fondera une fromagerie à l'instar de son autre frère Pierre (1865) qui, lui, est allé en 1889 s'installer dans la Calvados. Dès 1893 les premières récompenses pour la qualité des fromages sont remportées à Paris et à Londres. Il en est de même en 1894 avec une médaille supplémentaire glanée à Athis. Lors du recensement de 1896 des employés liès aux travaux de la fromagerie sont mentionnés : Blancher Victorine 27 ans (fromagère), Deletre Augustine 22 ans (fromagère), Corbière Alfred 26 ans (laitier), Chasle Maxime 18 ans (laitier), Larchantec Victor 16 ans (vacher), Revert Emile 12 ans (vacher).
En avril 1899, Isidore Barré dépose auprès du tribunal de commerce de Flers l'étiquette « La vraie collation du chasseur ». Son beau-frère Victor Hochet déposera une étiquette en 1900 auprès du tribunal de Commerce de Flers la marque « le camembert du Pêcheur » En 1901 l'exploitation emploie 9 domestiques, et seulement 5 en 1906. La production des fromages (Pont l'évêque, mais surtout camembert) est assurée à partir du lait produit sur la ferme, mais aussi avec celui récolté auprès des agriculteurs du voisinage. En effet le premier septembre 1907, une convention orale est passée entre Isidore Barré et quatre autres fromagers (Bigeon, Langlois de Champsecret, Blanchet de Dompierre et Hochet de Saint Bomer les Forges) par laquelle ils conviennent « de ne pas prendre de clients, autrement dit de fournisseurs de lait, à leurs confrères, mais à se maintenir dans leur clientèle actuelle sans faire d'incursion dans la clientèle des autres ; qu'ils devaient aussi s'entendre pour faire le même prix aux propriétaires et fermiers, de façon à ce qu'il existât unité de tarif entre les cinq acheteurs ; que ceux-ci s'engageaient d'honneur à respecter ladite convention et que, pour le cas où elle serait enfreinte, chaque contravention devait être passible de 1 000 fr. de dommages-intérêts, qui seraient acquis aux autres parties et partagés respectivement entre celles au mépris du droit desquelles la contravention aurait été commise». (1) Aujourd'hui un tel accord serait qualifié d'entente illicite et condamné comme telle.
Isidore Barré décède en 1907 à l'âge de 45 ans. Sa femme poursuit la fabrication de fromage en élevant seule ses deux filles Gabrielle (1896) et Yvonne (1903).
En octobre 1909, elle porte plainte auprès du tribunal de commerce de Flers contre Constant Blanchet fromager de Dompierre pour manquement aux obligations de la convention orale de 1907. Elle lui reproche d'avoir repris les livraisons de trois de ses fournisseurs ( Brodin, Rivrain, Lafontaine), qui s'étaient présentés à lui de leur propre initiative. Le tribunal reconnaît le caractère licite de la convention mais déboute la plaignante des dommages et intérêts auxquels elle prétendait. Elle interjette de ce jugement et le 4 avril 1910, la cour d'appel de Caen rend un jugement qui lui donne gain de cause et condamne Constant Blanchet à lui verser 750 frcs de dommages et intérêts. Lors du recensement de 1911, 6 domestiques l'aident dans l'exploitation de la ferme et de la fromagerie . Elle poursuivra son activité tout au long de la guerre 14-18. Sa fille aînée, Gabrielle, se marie en 1920 avec Georges Perault de Champsecret. Eugénie Barré vend la fromagerie en 1924 à Benoît Rigaud qui reprendra les deux marques phares: « la Normande » et « La vraie collation du Chasseur » dont elle a assuré le renouvellement du dépôt en février 1921 au tribunal de commerce de Flers.
1 : Plainte veuve Barré contre Blanchet. Cour d'appel de Caen 4 avril 1910. Communication S.Schéhadé 2017.
RIGAUD Benoît et Pierre [de 1925 à 1987].
Né en 1891 à Fontange dans le Cantal à proximité de Salers où son père exerçait le métier de fromager, Benoît Rigaud (1891-1971) licencié en droit se destinait au métier d'avocat. La guerre de 14-18 allait annihiler ce projet. Soldat dans au 108ème RI de Bergerac Benoît Rigaud est grièvement blessé par un obus en Argonne en mars 1917. Il est amputé de la jambe gauche et perd l 'œil et l’ouïe de ce même coté. Il se sent trop diminué pour embrasser avec efficacité la profession pour laquelle il s'était préparé.
Ayant découvert le camembert dans les tranchées, ce fils de fromager pressent le potentiel de développement de ce type de fromage. Il décide donc de se lancer dans le métier de fromager. Il part en 1919 apprendre le métier dans une petite fromagerie à Sélommes près de Vendôme (41). En 1924 il acquiert auprès d'Eugénie Lecellier la veuve d'Isidore Barré la fromagerie de la Vente. L'activité va démarrer en 1925.
Jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale il dirige seul la fromagerie. De 1941 à 1942 son fils Pierre (1922-1978) suit une formation à l'école fromagère de Surgères en Charente. Requis en 1943 par le Service du Travail Obligatoire (STO) il est envoyé en Allemagne. Libéré en 1945, il va épauler son père avant de prendre les rênes de la fromagerie à partir des années 1950. Benoît est fait officier de la légion d'Honneur en 1964.
Jusque dans les années 60, la fromagerie de la Vente ne fabriquait que quelques milliers de fromages par jours avant d'atteindre une production de 15 000 camemberts jour en 1970. L'approvisionnement en lait est assuré par les collectes organisées auprès de 400 producteurs dans une quinzaine de communes : Champsecret, Dompierre, Banvou, Le Châtellier, La Ferrière-aux-Etangs, Saires-la-Verrerie, St André-de-Messei, Echalou, Bellou-en-Houlme, La Coulonche, La Sauvagère, Le Ménil-de-Briouze, Briouze, Juvigny-sous-Andaines, St Maurice-du-Désert, St Michel-des-Andaines, La Ferté-Macé et Lonlay-le-Tesson......Au fil du temps le nombre de producteurs diminuera peu à peu du fait des cessassions d'activité et des agrandissements. La collecte ne concernera plus qu'environ 150 fermes, mais les livraisons de chaque exploitation augmentent. En 1972, 30 000 litres de lait sont transformés chaque jour et la production annuelle de camemberts atteint les 2.000.000 pour 39 emplois (2).
La création cette même année 1972 de l'usine Besnier à Domfront allait être un déclencheur pour un nouvel accroissement du rythme de production.
Michel Besnier avait l'ambition de faire fabriquer dans sa nouvelle usine 450.000 camemberts par jour. Pour atteindre un tel objectif il avait placé au pied du mur les concepteurs de lignes de fabrication qui n'avaient jusqu'à présent jamais réalisé de machines d'une telle capacité. Les établissements Lasalle, fabricants de bloc-moules et de plateaux à Langeais (Indre et Loire) relèvent le défit et satisfont à la commande de Michel Besnier. Raymond Lasalle informe son ami Pierre Rigaud de la mise au point de ce nouveau matériel. Celui-ci obtient de Michel Besnier l'autorisation de pouvoir s'en équiper aussi. Cette acquisition va permettre de produire 25.000 camemberts jour sans devoir agrandir les locaux.
Ainsi à partir de 1973, la capacité de production de la fromagerie des Ventes atteint l'objectif attendu des 25 000 camemberts jour, 5 jours par semaine.Elle transforme 50000 litres de lait par jour en période de pointe, et produit 5 000 000 camemberts par an. Elle emploie une cinquantaine d' ouvriers. Les marques des camemberts produits par la fromagerie Rigaud se sont pour certaines installées dans la durée; sur quasiment une cinquantaine d'années pour certaines: la Normande, la Vraie collation du Chasseur reprise de la fromagerie Barré. Mais aussi B.Rigaud rouge ou vert, le Lion Normand, Grand Papa dont l’effigie est inspirée du portrait de Beethoven. Certaines marques sont des reprises de fromageries liées à la famille Rigaud telle le Terroir Normand de Leroux-Rigaud, de Mon moulin et de la Vache Normande de Bérenger. La fromagerie de la Vente a également fabriqué pour une trentaine de commanditaires dont Valroy ( Masson), Pére Picou, et une coopérative belge de Bruxelles.
En 1980, la famille Rigaud vend 51% du capital à la société Vallée. L'exploitation en commun se poursuit jusqu'en 1987, date à laquelle le reste du capital est vendu à la SA Vallée. La direction technique de la fromagerie est assurée par Louis Vallée jusqu'en 1993. Son frère Jean prendra la suite jusqu'à la fermeture en 1996 juste avant que la S.A. Vallée ne soit rachetée par Lactalis (Besnier) en 1997. La quasi totalité des anciens bâtiments a été détruite depuis.
Sources : .2 Inventaire Patrimoine industriel Orne. & Entretiens avec Jean-Luc Rigaud juin, novembre 2016, Louis et Jean Vallée novembre 2016 .
Date de dernière mise à jour : 06/02/2020