Neyroud (Boissy-Maugis 61)
FROMAGERIE NEYROUD, LEROUX-RIGAUD À BOISSY-MAUGIS par Gérard Clouet.
Quelle idée antinomique que celle de la fromagerie de Boissy-Maugis (61) - située en plein cœur du Perche, pays par excellence des manoirs - d'utiliser une vue du château de Pontécoulant (14) pour illustrer une de ses étiquettes de camembert ! Quelle peut bien être la raison de ce choix ?
Ce qui est facilement établi c'est que la fromagerie Neyroud dite « d'Yversais » a été installée dans les locaux d'une ancienne papeterie construite sur la rive droite de l'Huisne qui délimite Saint Maurice sur Huisne et Maisons Maugis.
L'inventaire du patrimoine industriel de la base de données Mérimée mentionne qu'il s'agit d'un « Moulin à papier établi en 1824 par Louis Charles Jourdan à l'emplacement d'un moulin à blé attesté en 1809 ; réglementé par ordonnance royale du 9 mars 1826 ; demande d'installation d'une seconde roue en 1832, autorisée par arrêté préfectoral du 19 avril 1852 ; modification de l'usine signalée en 1888 ; fabrication de papier vergé à la cuve; dépôt de bilan prononcé le 28 mai 1906 »*1.
Saint-Maurice-sur-Huisne (fromagerie vue aérienne) Château de Pontécoulant (vue d'ensemble)
C'est de cette situation à la limite de trois communes, que la fromagerie tirera argument pour commercialiser ses productions sous trois appellations communales différentes, et sans doute ârce qu'il s'agit d'une bourgade active, préférentiellement sous celle de Boissy-Maugis. Cependant certaines des plus anciennes étiquettes de la fromagerie Neyroud indiquent comme lieu de fabrication la commune de Longny autre commune du Perche située quelques kilomètres plus au nord de Boissy-Maugis.
À ce sujet, l'annuaire de l' industrie laitière de 1927 donne une précieuse indication*2. Il mentionne effectivement l'existence d'une fromagerie à Longny au lieu-dit « la Poëlerie » exploitée par Madeleine-Neyroud et précise : « maison principale à Pontécoulant (14) ». Le recensement de 1926 confirme effectivement à La Poëlerie la présence de trois fromagers et de deux laitiers employés par Neyroud. Tous sont d'origine suisse. Il est probable que le responsable de ce groupe soit Herman Freiburghaus (1898-1967), le beau-frère de Marcel Neyroud, originaire comme son épouse Jeanne Neyrous (1899-1979) du canton de Vaud. Leurs deux filles sont nées en France, la première en 1923 à Grandvilliers (60) et la seconde en 1924 à Lisieux (14). *3 Il est à noter qu'il s'agit de deux localités qui ont été le siège d'importantes laiteries fromageries.
À Pontécoulant le recensement de la population de 1926 atteste bien de la présence dans le bourg d'un fromager Marcel Neyroud né en 1896 dans le canton de Vaud en Suisse et de trois employés suisses également dont Roger Terry.*4 Les modalités de l'arrivée de Marcel Neyroud à Pontécoulant ne sont pas connues. Seule l'annonce parue dans les Archives Commerciales de France qui mentionne en 1923 « la société Henquet et Sostras cède à Neyroud et Madelaine veuve, une fromagerie à Pontécoulant » donne une indication relative à une activité de fabrication de fromage*5. Cette cession soulève ipso facto une question, celle de l'antériorité de cette fromagerie à Pontécoulant. Sur ce point l'analyse des recensements de 1921 et 1911 démontre qu'aucune fromagerie n'existait alors sur la commune. Ces deux sujets restent donc à élucider. Toujours est-il que c'est là que Marcel qui a 27 ans, rencontre Louise MADELAINE (Piard de son nom de jeune fille) commerçante au bourg, jeune veuve de 34 ans, dont le mari mobilisé pour la Grande Guerre est décédé en novembre 1918 probablement de la grippe espagnole à l'hôpital mixte de Falaise (14). Elle tient un restaurant et vit avec sa fille Thérèse née en 1911.
Ils s'associent et fondent la fromagerie Madeleine-Neyroud à Pontécoulant et ouvrent à Longny dans l'Orne une seconde fromagerie. Seules deux étiquettes datant de cette époque à Pontécoulant sont connues, l'une avec leurs initiales MN pour Madeleine-Neyroud et une seconde qui reproduit une vue du château de Pontécoulant avec mention de leurs deux noms. Voilà donc l'explication de la présence de cet édifice sur une étiquette d'un camembert produit quelques années plus tard dans le perche ornais.
Marcel Neyroud et Louise Piard quittent Pontécoulant quelques temps après, et viennent habiter à Saint-Maurice-sur-Huisne (61) où ils sont domiciliés en 1929. Ils se marient au début de cette même année à Paris où réside Louise. Leur fille Mireille naît à Saint-Maurice-sur-Huisne en décembre 1929, (décédée en 2022). Le recensement de 1931 confirme qu'ils y ont créé une fromagerie et disposent de quatre employés dont un fromager suisse.
À Longny la fromagerie de la Poëlerie est mise en vente dès mai 1929*6. Il faut donc considérer que l 'annuaire de l'industrie laitière de 1931 qui y signale encore une fromagerie Neyroud n'est pas à jour*7. Le recensement communal de Longny de la même année ne mentionne aucune présence de cette activité.
En 1936, le fromagerie d'Yversais emploie huit personnes dont quatre fromagers et trois chauffeurs. Pour valoriser les sous-produits de la fromagerie une porcherie est créée en 1938.
Malgré les difficultés générées par l'occupation allemande, la production se poursuit, ce qui n'est pas sans valoir quelques déboires à Marcel Neyroud comme le rapporte la presse locale d'abord en 1940 : « Le 2 décembre Mme Augoyard épicière à Biviliers recevait apporté par le camion de M. Neyroud fromager à St Maurice S/Huisne une caisse de fromages et la facture qui indiquait le prix de 4fr75. Or d'après la taxe ce prix n'aurait dû être que de 4fr50. Mme Augoyard prévint les gendarmes en signalant que son bénéfice était réduit de 75 centimes à 50 centimes. M.Neyroud sera interrogé mais il fera remarquer que la taxe de 4fr50 s'applique aux fromages pris chez lui et non ceux portés à domicile 30 kilomètres plus loin ».*8 Puis en 1942 : « Deux commerçants sont poursuivis : M. Veillon, épicier en gros, et M. Neyroud. fromager à St-Maurice-sur-Huisne, « pour avoir, dit l'assignation, acheté et vendu des fromages sans bon du Comité de gestion ».*9 Après la guerre Marcel Neyroud poursuit l'exploitation de sa fromagerie .
En 1952, il vend l'affaire à Benoît Rigaud propriétaire d'une laiterie fromagerie à Champsecret. *10
Celui-ci en confie la direction à son gendre Jacques Leroux (1929-2012) qu'il a eu comme stagiaire dans le cadre de ses études dans une école de laiterie.L'activité de la fromagerie se poursuit pendant une dizaine d'années. A cette époque Yversay dispose une quinzaine d'employés, récolte quotidiennement 20 à 25 000 litres de lait et produit des camemberts, du coulommiers et du beurre. Les camemberts sont produits au début sous les marques développées à Champsecret "Rigaud & Cie" "Terroirs-Normands" puis Rigaud-Leroux, mais aussi "Le Père Antoine". Le beurre est diffusé sous deux marques Rigaud et Cie Boissy et La fermière de Normandie. La première fille du jeune couple, Brigitte, naît en 1955 à Saint-Maurice, les trois autres verront le jour à Mortagne-au-Perche : Agnès en 1957, Béatrice en 1960, et Bertrand en 1963.
De 1959 à 1962, Jacques Leroux exerce par ailleurs les fonctions de maire de Saint-Maurice-sur-Huisne. La laiterie fromagerie est cédée en 1962 au Groupement Laitier du Perche. Elle cesse toute activité en 1966.
Le couple Neyroud a pris sa retraite à Saint-Maurice-sur-Huisne où ils sont décédés. Lui était de confession protestante et aux dires des personnes du bourg de Boissy-Maugis qui l'ont bien connu, il n'hésitait pas à taquiner son épouse en feignant de s'inquiéter à propos du versement denier du culte « as-tu payé tes impôts à ton curé?»*12. Léonie Piard est décédée le 26-11-1977, et Marcel Neyroud en 1982. Après le décès de Marcel Neyroud, les bâtiments sont vendus. À cette occasion, Régis Duval, un voisin, a le réflexe d'acheter l'ensemble du fond comportant les stocks d'étiquettes de fromage et de papier à beurre qui ont ainsi échappé à la destruction. Ainsi on peut savoir que la laiterie fromagerie de Saint-Maurice-sur-Huisne a travaillé à façon pour d'autres établissements. Des camemberts ont été fournis pour Saint-Bomer-les-Forges (61), La Société Laitière des Fermiers Normands (14), ou pour la fromagerie de Courtiron et la laiterie de Marçon (72). Il en a été de même pour le beurre au profit des établissements Guérinot de Saint-Ange, et de la Société Michez zt Fils de Pontgouin (28).
*1 Inventaire du patimoine industriel Orne 1994 fiche 257 ; *2 Annuaire Industriel du Lait 1927 p97, *3 Son frère Freiburghaus Albert (1900-1949) et son épouse Bertha sont employés en 1926 à la fromagerie de Montsecret (61), *4 Roger Terry est employé en 1931 par Brand à la fromagerie de Saint Bomer les Forges ( voir notice du même auteur), *5 Archices commerciales de la France 17 octobre 1923 *6 Ouest-Éclair 1929/04/21 *7 Annuaire de l'industrie du lait 1931 p.124, *8 Ouest Éclair 1940/12/10, *8 Ouest-Éclair 1942/04/20,*9 Ouest-Éclair 1942/04/20 *10 voir notice du même auteur, *11 Communication Jean-Luc Rigaud *12 Entretien avec Ginette Moulin ancienne boulangère à Boissy-Maugis.
Gérard Clouet [Camembert-Museum, 1ère publication le 27 avril 2020, modifiée le 20-09-2022]
Date de dernière mise à jour : 29/09/2022