Morvan & Frère (29)

LA FAMILLE MORVAN, FRERE, DERRIEN, DES FROMAGERS DANS PLUSIEURS DÉPARTEMENTS par Michel Lebec.

Marie-Yvonne MORVAN, naît le 1er août 1876 à Kersco, commune de Ploujean (Finistère), celle-ci, aujourd’hui, rattachée, depuis, à Morlaix. Ses parents sont Guillaume Morvan (1846-1881) et Jeanne Rivoal (1849-1909), mariés le 18/10/1868 à Pleyber-Christ, près de Morlaix. En 1890/1891, elle est élève à l’école de laiterie de Coëtlogon à Rennes (35) où elle apprend le métier de fromagère. Il fallait d’abord réussir l’examen d’admission. Le 15/07/1890, elle obtient une bourse d’Etat d’un montant de 250 francs pour le semestre. C’était le prix de la pension ; cela représente à cette époque environ le prix d’une vache. Les études durent seulement six mois. Elle est reçue à l’examen du 1° semestre 1891 (15/07/90 au 15/01/91) fixé au 14/01/1891. Elle obtient donc le certificat d’instruction des Ecoles Pratiques de laiterie. Une médaille de bronze lui est décernée. Sa promotion comptait neuf élèves. Le 19/02/1891, elle est autorisée à poursuivre ses études pour un trimestre et obtient, à nouveau, pour cela une bourse entière. Le 07/07/1891, elle est reçue à l’examen, à la 3° place, avec une note de 17,2 et une mention Bien. Au vu de ces bons résultats, l’école lui décerne à nouveau une médaille de bronze et elle est autorisée par le Ministère de l’agriculture qui mandate le Préfet, à poursuivre ses études et sa demi-bourse est prolongée. Nous n’avons pas la certitude que Marie-Yvonne ait continué ses études malgré l’autorisation qui lui est donnée. Elle est peut être rentrée à Ploujean courant juillet 1891. Sa sœur, Françoise, née en 1878, voulait faire les mêmes études en 1893. Elle obtient également une bourse d’Etat mais elle ne sera pas admise car elle ne réussit pas l’examen du 22/08/1893.

Marie-Yvonne était une maîtresse femme, très énergique mais pas facile à vivre. Vers 1892, la famille MORVAN, après la mort du père, dut quitter Ploujean. Elle avait été ruinée suite à la longue maladie (7 années) du père et les mauvaises affaires d’un oncle co-exploitant. Marie-Yvonne venait tout juste de terminer ses études à Rennes. Ils arrivent en Normandie fin 1892, à Morteaux-Couliboeuf, à l’est de Falaise (14).  Mme Morvan mère, Jeanne, trouva un emploi de cuisinière dans un château local, chez Mlle de Vandoeuvre et en 1896, elle est cuisinière pour Monsieur Vignoboul, directeur de la fromagerie de Morteaux, construite en 1894, pour le compte de Julien Bessard-du-Parc, fromager à Bernières-d’Ailly (14). Nous trouvons, également, comme employés dans cette fromagerie : Jeanne Yvonne Morvan et son époux Émile Martin avec leur petite fille Lucie, Yves Morvan, 23 ans, Marie Morvan 17 ans, enfants de Jeanne ainsi que Rivoal François, 33 ans et son fils Jean 12 ans.

Dès 1893, Marie, par son ardeur au travail et son « caractère de cochon » est vite montée en grade et à 18 ans, elle avait paraît-il 40 hommes sous ses ordres chez Charles Gervais à Neuchâtel en Bray en Seine-Maritime. C’est là qu’elle a connu, en 1894, son futur mari, Charles Alfred Eugène FRERE, originaire d’une petite ferme de la commune de Quièvrecourt à quelques kilomètres au sud de Neuchâtel. Beau garçon, c’était un « paysan » dans le bon sens du mot, et « plutôt rêveur » mais très bon chanteur ; il aurait été sollicité pour entrer dans les chœurs de l’opéra de Paris. Il avait également de réels talents d’architecte.

Un peu avant son mariage, Marie Morvan partit dans une fromagerie à Oust en Ariège. Elle devait être fiancée, à 18 ans, et pour éviter la tentation !!- elle s’est « exilée » en Ariège. Cette fromagerie fabriquait du camembert et aussi des boîtes à fromages. Il s’agit probablement de la fromagerie du Baron de Bardies et du Comte Paul de Geloes, ouverte en 1892, devenue en 1897 la Fromagerie d’Oust. Elle a pu mettre en application son savoir-faire acquis d’abord à l’école de laiterie à Rennes puis en Normandie, pour la fabrication du camembert et du Port Salut. Le mariage eut lieu à Neuchâtel en Bray le 25/02/1895. Deux enfants y naitront Antoinette, le 4/12/1895 (+ 14/03/1974 à Falaise 14), et Charles le 5 mai 1897 (+1/02/1953 à Saint-Derrien 29) près de Landivisiau. Le jeune couple est déclaré cultivateur. Après leur retour en Bretagne fin 1897, un troisième enfant, Gervais naît à Morlaix le 3/04/1903 (+23/06/1962 à Morlaix 29). Antoinette se marie à Morlaix le 1/07/1919 à Joseph Derrien né le19 décembre 1893 à Saint-Martin-des-Champs (29) (1893 – 1970). À cette occasion, Eugène Frère et sa femme achètent pour leur fille une propriété de 102 hectares (42 ha de terres et 60 ha de bois) à Cerqueux près d’Orbec en Auge (14) dont nous avons déjà pût voir l’historique sur ce site. Dates : Eugène Frère 1868 – 1944 ; son épouse Marie-Yvonne 1876 – 1956.

LA FROMAGERIE DU VAL VERT À MORLAIX

Le couple MORVAN/FRERE revient donc fin 1897 à Ploujean. Il prend en location la ferme de la propriété du commandant Foch, le futur Maréchal, à Trofeunteuniou, en Ploujean à quelques kilomètres de la ferme natale de Marie-Yvonne. Cette dernière tenait tête au Commandant Foch mais ils s’appréciaient : dans un livre sur le Maréchal Foch, l’auteur indique que le Maréchal présente Marie-Yvonne Morvan à un éminent visiteur en disant « qu’il avait moins de mal à commander cinq divisions qu’à faire plier son ancienne locataire ». Vers 1903, ils achètent, route de Callac, à Morlaix, un ancien moulin pour y installer une fromagerie. Il y avait une grande roue qui fournissait la force motrice. Ils francisèrent le nom breton du moulin (milin glas) en l’appelant le Val Vert.  En juin 1917, un incendie détruisit partiellement la fromagerie. Ils y resteront jusqu’en 1932. À partir de cette date, les parents étant repartis en Normandie à Cerqueux (14), la fromagerie sera dirigée par leur fils Gervais. Le fils Gervais Junior (1930 – 2003) s’occupera aussi de cette fromagerie ; grand sportif, très apprécié dans les milieux sportifs bretons et il deviendra, à ce titre, salarié de la mairie de Morlaix. La fromagerie du Val Vert fermera en 1985.

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Sur cette photo, on peut observer leurs visages. Marie Morvan a le regard perçant et inflexible. Sur celui d’Eugène, il se dégage plus de bonhommie tout en maintien. Le petit Gervais, l'air coquin de l'enfance. Charles, l'air goguenard de l'adolescent et Antoinette, une belle jeune fille.

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LA FROMAGERIE DE SAINT-DERRIEN

Un peu d’histoire : Saint Derrien dépendait de Plouneventer mais devient paroisse en 1845 et commune en 1882. Tout en exerçant à Morlaix, Eugène Frère et son épouse reprennent en location en décembre 1907 une fromagerie, située au manoir de Ker-Yvon sur la commune de Saint-Derrien, qui avait été créée, le 01/10/1903, par Camille Louis Le Moing qui semble-t-il n’était pas originaire de la région. Il était marié à Mlle Marie-Henriette Chancerelle, fille d’un conserveur de Douarnenez. Il fabriquait du camembert sous la marque « Jeanne d’Arc ». Mais il fit de mauvaises affaires à tel point qu’il aurait « mangé » 30.000 francs-or en trois ans. Voyant la façon dont se déroulaient les affaires le beau-père intima à son gendre d’arrêter son activité. Son bail avait été établi pour la période du 29/09/1903 au 29/09/1923 mais il fut résilié au profit d’Eugène FRERE à partir du 04/12/1907.

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Le 08/03/1917, la famille Parscau du Plessix, propriétaire du manoir, le mit en vente avec les fermes de Keryvon, le tout formant un ensemble compact de 57 hectares vendu 60.000 francs-or. Eugène Frère en devint le propriétaire. Il décède en 1944 et sa femme en 1958. Ils fabriquaient le camembert sous la marque « Le Val Vert » jusqu’en 1924, sous la marque « C. Frère » ensuite. Le manoir a failli être détruit car il était dans un état déplorable lors de son achat. Marie Morvan avait d’ailleurs l’idée de construire la fromagerie et une maison neuve sur une autre partie de la propriété mais ce projet a été abandonné. Elle a été construite à côté de la tour carrée par des maçons italiens .Le manoir fût restauré.

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Cette fromagerie fut dirigée par Françoise Morvan, sœur de Marie Morvan et mariée à Jules LEMOINE ; ils eurent trois enfants Madeleine, Emile et Maurice. Charles (dit Gui en famille) FRERE, né le 05/05/1897, lui succéda en 1924 comme gérant, puis prit l’affaire à son compte en décembre 1927, selon le reçu d’inscription au registre du commerce. Il était marié à Yvonne Guyomarc’h. C’était la demi-sœur de Joseph Derrien de Damblainville(14). Leur famille comptera onze enfants.

Tour carree

À gauche de la tour carrée, nous pouvons voir l’ancienne fromagerie dont la partie supérieure a été transformée en gîte

Charles-Guy Frère sera maire de la commune de Saint Derrien jusqu’à sa mort en 1953. Son fils Maurice lui succéda et déposa les marques de camembert « Le Petit Frère » et « Le Grand Frère ». Pour décider les cultivateurs à livrer leur lait, Maurice FRERE décida de rétrocéder du beurre aux producteurs, car l’habitude locale voulait que chaque fermier fabriquât son beurre lui-même. La fromagerie cessa son activité vers 1970. Sous la marque Keryvon elle s’était reconvertie avec succès dans la distribution de produits surgelés livrés à domicile dans les campagnes. Puis la marque deviendra la propriété du groupe fromager EVEN de Ploudaniel vers 1995. La famille Frére a vécu au manoir de 1917 à 1996. Le manoir est, à ce jour, en vente sur le site immobilier de Patrice Besse dont les photos ont étés extraites.

LA FROMAGERIE D'ANTRAIN (35) PRÈS DE PONTORSON ET DU MONT SAINT-MICHEL (50)

Mr Louis Guyomarc’h et son épouse installent, en 1924, en location, une fromagerie Boulevard de la République à Antrain. Ils achèteront plus tard des locaux situés sur les bords de la rivière « Loysance », toujours à Antrain. C’est le frère d’Yvonne Guyomarc’h, mariée à Charles (Gui) Frère de la fromagerie de Saint Derrien. Louis est marié avec Madeleine Lemoine, fille de Jules Lemoine et Françoise Morvan qui avait géré la fromagerie de Keryvon en Saint Derrien jusqu’en 1924. Jean Guyomarc’h succédera à son père en 1950. La fermeture intervient en 1956.

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LA FROMAGERIE HALAIS À LOLIF (50)

Simplement pour souligner que nous retrouvons encore un membre de la grande famille des « MORVAN » car Mme Halais, Lucie MARTIN, était la cousine de Mme Louis Guyomarc’h, de Mme Joseph DERRIEN et de Mr Charles FRERE.

Nous incluons l’historique qui suit pour montrer le parcours dans le domaine des fromageries de deux élèves de l’école de laiterie de Coëtlogon à Rennes : Marie-Yvonne Morvan, diplômée en 1891, et Marie-Catherine Pouliquen, diplômée en 1893.

LAITERIE DE LANNEUFRET selon Madame A. Reuzeau-Cann

Née à Sainte-Sève-Morlaix, Marie-Catherine Pouliquen, après ses études secondaires au Conquet, entre à l’école de laiterie de Coëtlogon à Rennes. En 1893, elle obtient son diplôme avec une médaille d’argent et devient fromagère chez Mr Le Masne de Brons à St Etienne de Montluc (Loire Atlantique). En 1899, elle épouse Emmanuel Fretaud : deux enfants naissent, Angèle et Emile. En 1903, ils créent une fromagerie dans les dépendances de l’abbaye de Kerbéneat à Plouneventer. Cette abbaye a été fondée en 1878 par trois moines bénédictins dans une modeste ferme achetée 12.000 francs qu’ils baptisent Ker-Bénéat (maison de Benoît). La communauté est nombreuse mais les moines, expulsés par les lois anticléricales, quittent Kerbénéat en avril 1903 pour s’exiler au Pays de Galles.

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En 1905, au moment de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la famille FRETAUD doit quitter les lieux. Elle achète un terrain à Lanneufret, la commune voisine, font construire une maison et des bâtiments pour la fromagerie. Le ramassage s’effectue avec des voitures à chevaux. En 1907, ils achètent une voiture automobile pour vendre la production à Landerneau et à Brest. La même année, ils obtiennent deux médailles de bronze pour la fabrication du Saint Paulin, à l’exposition internationale de Paris pour l’ »Alimentation, Hygiène et industries s’y rattachant ». Emmanuel Fretaud décède en 1921 ; sa femme continue pendant deux ans et prend sa retraite en 1923. Elle cède l’entreprise à sa fille Angèle qui épouse Ambroise CANN. Ce dernier fait construire en 1924, une éolienne pour le fonctionnement de la fromagerie. Il était maire de la commune (la plus petite du Finistère). En 1932, la fromagerie est vendue à Mr Henri Vachon. La famille CANN part habiter au lieu-dit « Les Tuileries » sur la commune de La Chapelle Launay (Loire Atlantique) ; ils fabriquent du camembert et du Saint Paulin jusqu’en 1934. Ils vont exploiter une fromagerie au Genest dans le département de la Mayenne.

Bibliographie : - Historique extrait de celle de Maurice Lécrivain. Betton 35   - Avec le concours de Bronwen Le Scour, descendante de Marie Morvan/Frère qui était son arrière-arrière-grand-mère.

Michel Lebec [Camembert-Museum, première publication le 25 décembre 2021]

Date de dernière mise à jour : 19/01/2022