Saint-Chamans & Puille (Paris)

77-Domaine de la baronnie (de Saint-Chamans nv)

MARQUIS DE SAINT-CHAMANS & PUILLE [39, RUE ÉTIENNE MARCEL, PARIS]

Vers la fin du 19ème siècle, le marquis de Saint-Chamans, comme beaucoup de personnes à cette époque, ayant les moyens financiers d’investir dans la culture des terres, l’industrie ou le commerce, va s’intéresser à la production laitière. l’idée étant de produire et de vendre du lait sain et de qualité, c’est-à-dire sans microbes, pouvant convenir aussi bien aux nourrissons qu'aux adultes. Le projet consiste à vendre laits et fromages directement du producteur aux consommateurs.

De son Domaine de la Baronnie, dans la marne ainsi que du département de la Seine-et-Marne, le lait est envoyé vers la capitale. Des points de vente sont créés à Paris dont le principal dépôt se trouve au 39, rue Étienne Marcel, dans le 1er arrondissement, à proximité des halles centrales.

M. de Saint-Chamans va s’associer dans cette affaire à parts égales avec Monsieur Puillé, qui semble avoir carte blanche pour diriger l’affaire à Paris. Des médailles et diplômes à Chartres et Paris en 1896, viendront récompenser la qualité de ce travail. Cependant, à la seule initiative de M. Puille, des fromages et autres produits laitiers commercialisés avec des étiquettes trop ressemblantes avec celles de M. Achille Herson, vont provoquer la colère de ce dernier, qui va se tourner vers la justice et porter plainte contre le marquis de Saint-Chamans, son associé M. Puille et Gaullier l’imprimeur des étiquettes incriminées. Voici le compte rendu comprenant l’intégralité du texte du jugement de 1898 :

Cour de Paris, 7ème Chambre, Audience du 10 mars 1898, Herson v/s marquis de Saint-Chamans, Puille et Gaullier :

Le Tribunal, Attendu qu’il résulte des documents de la cause et des débats que, par exploit de Blanche, huissier à Paris, du 3 mars 1807, Herson, négociant en fromages, 17, rue Berger, à Paris, a assigné :

1-Le marquis de Saint-Chamans, faisant le commerce de fromages, beurres et œufs, 39, rue Étienne Marcel ; 2-Puille, son gérant, pour avoir fait à Paris une imitation frauduleuse ou tout au moins illicite d’une marque de commerce lui appartenant, dans le but de tromper le public sur la nature et l’origine des produits mis en vente ;3-Gaullier, imprimeur, 36, rue Ke!ler, pour s’être rendu complice des faits ci-dessus en procurant au marquis de Saint-Chamans et à Puille les moyens de les commettre ;

Attendu que Herson expose qu'il est propriétaire exclusif, comme en ayant fait le dépôt régulier au greffe du Tribunal de commerce de la Seine le 27 avril 1888, d’une marque servant à désigner des fromages de Camembert, laquelle marque, consistant en une étiquette ronde imprimée en bleu et or, est apposée sur le couvercle des boîtes renfermant les fromages dont s’agit

Attendu que le caractère distinctif et spécial de cette marque qui appelle l’attention et attire le regard consiste en une couronne fermée, imprimée en rouge et or, au milieu d’un cartouche blanc, lequel est entouré d’une bande circulaire rouge cerclée d’or, sur laquelle est en exergue le titre du produit : « Camembert des Princes » avec au-dessous une bande bleue portant cette inscription « Pure Crème de Normandie »

Attendu que de Saint-Chamans et Puille ont reproduit les mêmes dispositions, et que si l’exergue porte « Camembert du Domaine de la Baronnie » et la bande bleue l’adresse de son dépôt au lieu de « Pure Crème de Normandie » le cartouche blanc porte une couronne de baron imprimée en rouge et or ;

Attendu que si l’erreur est difficile au cas où les deux produits sont exposés côte à côte, elle doit fatalement se produire chez le client qui achète un fromage avec couronne dans le cas où les boites de Saint-Chamans sont exposées seules et sans la boîte de comparaison à côté ;

En ce qui concerne Gaullier, imprimeur

Attendu qu’en exécutant la commande de Saint-Chamans et Puille sans faire les vérifications nécessaires pour constater si les étiquettes n’étaient pas la propriété d une personne autre que ses commettants, Gaullier a commis une faute lourde qui doit le faire considérer comme responsable du préjudice causé au demandeur. Par ces motifs :

Donne défaut contre de Saint-Chamans qui ne comparait point bien que régulièrement cité ;

Déclare de Saint-Chamans et Puille convaincus d’avoir fait d’une marque appartenant à Herson une imitation frauduleuse de nature à tromper l’acheteur, et d’avoir, depuis moins de trois ans, à Paris, fait usage de ladite marque frauduleusement imitée, ce qui constitue le délit prévu et puni par l’article 8 de la loi du 23 juin 1857 ;

Déclare Gaullier atteint et convaincu de s'être dans les mêmes conditions, de temps et de lieu, rendu complice des faits ci-dessus en procurant au marquis de Saint-Chamans et à Puille les moyens de les commettre ; qu’aux termes des articles 59 et 60 du Code pénal il y a lieu de lui faire application des dispositions de l’article 8 précité ;

Faisant application aux prévenus, chacun en ce qui le concerne des articles 8 de la loi du 23 juin 1857 et 59 et 60 du Code pénal dont lecture a été donnée par M. le Président ; Condamne de Saint-Chamans à 100 francs d'amende, Puille à 50 francs d'amende et Gaullier à 50 francs d’amende ;

Et statuant sur les conclusions à fins civiles : Attendu que par suite des agissements des susnommés, le demandeur a éprrouvé un préjudice dont il lui est dû réparation et pour l’appréciation duquel le Tribunal a dès à présent les éléments suffisants; Par ces motifs, Condamne de Saint-Chamans, Puille et Gaullier, par toutes voies de droit et même par corps, à payer solidairement au sieur Herson la somme de 500 francs à titre de dommages-intérêts ; Déclare les susnommés solidairement tenus du paiement des amendes prononcées contre eux ; Les condamne sous la même solidarité aux dépens ; Rejette connue mal fondé le surplus des conclusions.

Sur l’appel interjeté par MM. de Saint-Chamans, Puille et Gaullier, la Cour a rendu l'arrêt suivant :

La Cour, Sur l’imitation frauduleuse de l'étiquette déposée par Herson le 27 avril 1888, pour une période de 15 années

Considérant que cette imitation résulte non seulement de ce que les étiquettes incriminées portent une couronne comme l’étiquette de Herson, mais encore de ce que ces étiquettes sont imprimées avec les mêmes couleurs que l’étiquette déposée ; quelles comportent comme elle :

1-Une bordure rouge cerclée d’or, sur laquelle se détache en blanc le mot : « Camembert » ;

2-A leur partie inférieure un cartouche bleu ; Considérant enfin qu il résulte de la comparaison des étiquettes que, malgré certaines dissemblances tenant tant à la forme des couronnes qu’à des différences de rédaction, elles présentent, dans leur ensemble, des analogies et des ressemblances qui sont de nature à tromper l’acheteur

Sur les responsabilités pénales ;

En ce qui concerne Puille : Considérant qu’il résulte des débats que les étiquettes dont il s’agit ont été commandées par Puille à Gaullier et apposées par lui sur les fromages qu’il fabrique et met en vente ; Considérant qu'il était en relation avec Herson et connaissait ses étiquettes et qu'il ne saurait, dès lors, être considéré comme ayant agi de bonne foi ; En ce qui concerne de Saint-Chamans ; Considérant que d’après les renseignements fournis à l’audience, il est resté étranger à la commande des étiquettes faite par Puille à Gaullier ; considérant d'autre part que si les fromages fabriqués avec le lait provenant de son domaine de la Baronnie ont été mis en vente dans des boites revêtues des étiquettes frauduleuses, c est uniquement par le fait de Puille, qui partageait avec lui les bénéfices résultant de la fabrication de ces fromages et à qui il laissait toute latitude pour l’exploitation de cette industrie; que dans ces conditions il ne saurait être rendu responsable des agissements de Puille, En ce qui concerne Gaullier ; Considérant qu’il a fait dessiner et imprimer par des ouvriers de son choix les étiquettes frauduleuses ci-dessus décrites, mais considérant qu’il est atteint de cécité, et par ce motif n’a pu se rendre un compte exact des ressemblances qui viennent d’être relevées, qu’il y a lieu pour ce motif de le renvoyer des fins de la prévention ;

Sur l’application de la peine infligée à Puille ; Considérant que cette peine a été justement arbitrée par les premiers juges ; Sur les dommages-intérêts : Considérant que la somme allouée à ce titre à Herson apparaît comme l’exacte réparation du préjudice qui lui a été causé par le agissements de Puille.

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a condamné Puille en 50 francs d’amende, 500 francs de dommages-intérêts et en tous le dépens, L’infirme au contraire dans ses dispositions relatives à de Saint-Chamans et Gaullier, et décharge en conséquence ces deux prévenus des condamnations qui ont été prononcées contre eux. Condamne Puille en tous les dépens.


La SC Domaine de la Baronnie devient une marque :

Cremerie paris 16 (angle rue de Laroche et Vital nv)

Suite à ce procès, nous ignorons les dispositions prises par M. de Saint-Chamans, nous savons seulement que le 22 mars 1899, le marquis déposait la marque de camembert « SC Domaine de la Baronnie » au greffe du tribunal de commerce de la Seine, qui devenait aussi une marque commerciale.

Serge Schéhadé [Camembert-Museum, le 29 novembre 2019]

Date de dernière mise à jour : 02/10/2020